Pourquoi
y-a-t-il plus de concubins que de couples mariés dans la société haïtienne ?
L’ampleur du concubinage ou plaçage, comme un
phénomène social très marquant en Haïti, retient l’attention de tous. La
société haïtienne aurait-elle accordé peu de considération au mariage ? Si
les approches autour du concubinage tendent vers sa légalisation du fait de son
étendue considérable, la question de savoir pourquoi y-a-t-il plus de
concubins que de mariés en Haïti se pose rarement. Dans cet article, je me propose
d’analyser quelques-uns des facteurs à la base de ce phénomène social qui porte
plus d’un à croire injustement que la société haïtienne rejette les valeurs
familiales.
La
notion de famille en Haïti
La famille haïtienne a toujours été une
entité sociale problématique à cause d’une part de la place controversée que
les législations antérieures ont réservée aux enfants en fonction de leur
naissance hors du lit conjugal ou dans le cadre du mariage des parents ;
d’autre part, en raison d’une représentation antagonique du mariage et du
concubinage qui n’a pas manqué au fil du temps d’engendrer des formes de
discrimination sociale et d’influencer négativement l’assimilation des valeurs
familiales par les enfants et les jeunes adultes. Donc, la famille se construit
en Haïti sur la base du concubinage ou du mariage. Le concubinage s’est avéré
prédominant car il semble correspondre au fond de la mentalité haïtienne, là où
le mariage prend la forme d’une institution trop solennelle dans des conditions
de vie peu propices.
Le
concubinage correspond à la tradition ayant forgé la mentalité haïtienne.
Traditionnellement, le droit au mariage était
refusé aux esclaves. Comme je l’ai souvent dit, aucun peuple ne peut échapper
aux conséquences de son histoire. Dans les sociétés hétérogènes où les inégalités
sont fondées sur l’hérédité et l’origine ethnique, l’histoire a démontré que le
mariage était un droit réservé aux classes privilégiées. Les catégories au bas
de l’échelle sociale avaient besoin d’autorisation pour apprendre à lire, à écrire,
et même pour se marier. Il ne saurait être autrement, car généralement, la
femme asservie était aussi l’objet sexuel du maitre. Il n’en est pas question
qu’il soit privé de cet objet de plaisir bien en chair jusqu'à reconnaitre que même
les exploités ont le droit de choisir leur partenaire et de vivre dans l’union
matrimoniale.
Les inégalités décourageaient les exploités à
se marier. L’époque coloniale était marquée par ces préjugés. Ce qui va
influencer la perception du mariage chez les esclaves. Ils sont présents à
servir dans les cérémonies de mariage organisées par leurs maitres. Ils vont
finir par croire qu’il faut avoir beaucoup d’argent pour se marier. Leur
perception va jusqu'à sacraliser le mariage, plutôt que de le voir comme un
simple contrat civil. Le mariage semble un droit quasiment inaccessible.
Leurs relations se construisent alors dans le
silence de leur coeur et dans le secret à l’abri du regard de leur maitre. Ces
relations ne prennent aucune forme officielle, sinon que celle d’une situation
de fait, reconnue entre eux au niveau de leur stratification sociale. Il
s’observe, en effet, une tendance à vivre cette situation de fait au lieu de se
faire humilier en recherchant l’autorisation formelle du maitre. L’humiliation
vient du fait que le système d’exploitation confère aux privilégiés des droits
sur la personne des esclaves. Il y avait, outre le droit de vie et de mort, ce
qu’on appelait le fameux droit de cuissage.
Le droit de cuissage est une vieille pratique
qui remonte à l’époque médiévale. Comment se manifeste ce droit ? Lorsque
l’esclave a besoin de se marier, il sollicite l’autorisation de son maitre.
Celui-ci peut lui accorder ou refuser ce droit. Dans l’hypothèse où le maitre
lui reconnait le droit de se marier, l’esclave pourra alors se marier. Cependant,
la femme passera la première nuit de noces, non pas avec son mari, mais avec
son maitre. Ces pratiques ont persisté au cours du temps.
Ainsi, les esclaves prennent peu à peu
distance par rapport à l’institution du mariage qui rappelle la recherche d’une
autorisation formelle souvent accompagnée d’humiliation. Toutefois, lorsque le
droit au mariage est octroyé, l’esclave est tout de même heureux et est prêt à
utiliser toutes ses ressources, parce que c’est une occasion exceptionnelle et
réservée à ceux qui sont bien traités par leur maitre.
Fort de tout cela, le mariage est vu comme
une série de formalités compliquées. Ce qui fait qu’il représente des efforts
ultimes pour montrer aux autres dans la même condition qu’on a pu être autorisé
et rassembler les ressources nécessaires pour faire honneur à sa femme. Il est
ainsi aisé de comprendre pourquoi la femme haïtienne accorde beaucoup plus
d’importance au mariage que les hommes. C’est la preuve qu’elles sont aimées et
que leur partenaire n’a pas hésité à braver tout ce qui parait constituer un
danger ou une humiliation pour les honorer.
Bref, les pratiques de l’époque coloniale ont
agi sur la perception du mariage chez les esclaves qui vont plus tard bâtir la
société haïtienne. Et, comme on l’a vu, de telles pratiques ont servi à
dissuader l’esclave de l’institution du mariage et l’encourager à entretenir
une situation conjugale de fait. Au lendemain de l’Indépendance, les esprits
n’étaient pas suffisamment évolués pour comprendre qu’il ne fallait pas
reproduire textuellement les lois civiles de l’ancienne métropole. De ce fait,
la notion de famille va souffrir pendant longtemps des idées préconçues sur la
base de l’opposition entre mariage et concubinage.
Des efforts ont été effectués quant à la problématique
de la filiation et de la reconnaissance légale des enfants, mais il reste à
adapter la législation haïtienne à la réalité sociale en ce qui a trait au
concubinage.
Le
mariage demeure trop sacralisé et onéreux.
Alors que la tendance au niveau mondial, ces
derniers jours, consiste à simplifier les formalités du mariage et à les rendre
accessibles à qui veut, en Haïti, la tradition reste rigide et forme encore le
fondement du mariage. Le mariage conserve son caractère exceptionnel.
Sur la base d’une telle tradition, les Haïtiens
sont majoritairement opposés au mariage homosexuel. C’est porter atteinte au caractère
sacré du mariage. C’est de l’abomination comme le disent les religieux qui
insistent sur le caractère édénique du mariage comme étant le seul brin
d’institution qui vient du Jardin d’Eden et que l’humanité a su préserver.
C’est une position morale aux antipodes de l’interprétation contemporaine des libertés
individuelles. Ce qui est sûr, lors même que l’Haïtien est épris de libertés,
il accorde une plus large place à la tradition et à la superstition dans sa façon
de concevoir et d’appliquer les principes de vie.
La mentalité haïtienne voit le mariage comme sacré.
Et, elle n’est pas prête de se transformer. Parce que le mariage est ainsi sacralisé
dans la conception haïtienne, il s’observe une réticence à en modifier les formalités
et l’accessibilité. Jusqu'à présent, il faut remplir des démarches
administratives, puis religieuses, qui coûtent énormément de temps et d’argent.
Sans me verser dans les détails, juste pour exemplifier : des examens médicaux,
remplissage de formulaires de demande en mariage au bureau d’état civil, la
publication de bans de mariage par les autorités civiles et religieuses, et
autres, sont requis pour contracter mariage en Haïti.
Il ne va sans dire que ces démarches
s’accomplissent dans des délais relativement longs, logiquement insoutenables,
pour des gens qui n’aspirent qu’à fonder une famille. De plus, les formalités
du mariage coûtent cher. Comme le mariage n’est pas perçu comme un simple
contrat civil en Haïti, les gens considèrent qu’il doit être obligatoirement accompagné
d’une cérémonie fastueuse. J’ai rappelé pourquoi, traditionnellement, cette cérémonie
est d’une extrême importance. Si au regard de la loi, la signature du contrat
civil signifie qu’un couple est marié ; aux yeux de la société, il ne
l’est pas en absence de cette fameuse cérémonie d’apparat.
En conséquence, le concubinage, qui n’a
jamais été dénoncé comme malsain – il ne l’est pas d’ailleurs – mais à plus
forte raison, s’était installé au fond de la mentalité haïtienne, s’avère plus
sympathique et conciliable à la volonté des couples de créer une famille. Il ne
requiert aucune formalité ni ne coûte non plus une petite fortune. Sa base repose
sur la volonté commune et le sentiment mutuel des partenaires. Dans un pays où
les conditions de vie se révèlent déjà difficiles, les gens ont compris qu’ils
ne peuvent subordonner leur sentiment d’amour et leur volonté de bâtir une
famille à l’exigence d’accomplir des formalités qui, pour l’essentiel, ne
servent que d’apparat.
La logique commande alors d’opter pour le
mariage que dans les circonstances où l’on se sent effectivement prêt. D’où la
fameuse expression en Haïti : « On n’est pas encore prêt pour le
mariage. » Il ne s’agit pas de préparation psychologique et morale à vivre
en couple, à devenir parent, mais de préparation économique. De ce fait, les avancées
impitoyables de la misère, créant des conditions de débauche, d'exploitation sexuelle et de stress au quotidien, découragent toute volonté de s’engager dans la voie
du mariage. Un tel climat entraine la peur d'endosser les responsabilités du mariage. Et, quant aux mariages sans aucune base de préparation
psychologique et morale, ils s’éteignent aussi vite qu’un feu de paille, et laissent
dans certains cas des enfants déboussolés.
Il est grand temps que la procédure du
mariage soit simplifiée pour permettre à ceux qui le désirent de l’aborder désormais
comme un simple contrat civil. Car, c’est effectivement ce qu’il est. En exagérant
sa valeur dans la réalité sociale haïtienne, le mariage perd de plus en plus de
sa crédibilité.
En substance, ce n’est pas que la société haïtienne
rejette les valeurs familiales. Elle privilégie le choix du concubinage comme
mode de vie familiale en raison de la persistance de la tradition à laquelle
aucun peuple ne peut se soustraire et du caractère trop sacralisé et onéreux attribué
au mariage dans un climat économique et moral peu favorable. Certes, la mentalité
haïtienne est attachée à la tradition et à la superstition. Toutefois, il
importe de faire évoluer la perception du mariage vers la tendance générale qui
veut qu’il soit un simple contrat civil. Doit-il être un contrat civil
accessible à tous les couples indistinctement ? Là, c’est un autre débat.
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