vendredi 7 avril 2017

Peut-on mentir au nom de la liberté d’expression ?

Peut-on mentir 
au nom de la liberté d’expression ?

Cette question attire l’attention sur l’étendue de la liberté d’expression. Jusqu’où est-il permis de donner libre cours à ses opinions ? A-t-on le droit de mentir librement puisque la liberté d’expression et d’opinion est garantie par la Constitution ? Je dois dire que toutes les libertés sont déterminées par la loi. Il y va de même de la liberté d’expression et d’opinion. A travers cet article, je reviens sur les implications du mensonge et les hypothèses où mentir est acceptable même au regard de la loi.   

La liberté d'expression n'autorise pas à mentir. Le mensonge, sous diverses formes, constitue une infraction pénale. Tout ce qui relève d’un mensonge est susceptible d’être sanctionné au regard de la loi. C'est pourquoi le faux témoignage, le faux en écriture, la fausse identité ou l'usurpation d’identité, la calomnie ou dénonciation calomnieuse, le parjure ou le faux serment civil, la contrefaçon de monnaie ou fausse monnaie, la vente de faux produits ou produits frelatés, etc. sont pénalement réprimés.

La loi n'autorise que ce qu'on appelle le petit mensonge qui n'a aucune conséquence sur autrui car il ne tend pas vers l’intention de tromper ou de nuire. C'est le cas par exemple, lorsqu'un marchand vante la qualité de ses produits comme étant les meilleurs sur le marché. Cependant, s'il ment sur la nature des composantes des produits, c'est un mensonge punissable. C'est le cas également du mensonge pour protéger le secret professionnel. Les médecins, les avocats et d'autres professionnels peuvent mentir à toutes les personnes, hormis leurs patients ou leurs clients et les cas où la loi rend le partage du secret obligatoire. 

En ce qui a trait à la diffamation, dans l’hypothèse où la vérité des faits ne peut être établie, il s’agit bien évidement d’un mensonge punissable. Et, je rappelle qu'en matière de diffamation, l’intention de nuire est toujours présumée. Pourquoi ? Parce que toute personne sait pertinemment que dégrader ou avilir une autre personne est bien une attaque personnelle. En se lançant dans une attaque personnelle, l'intention de nuire ne laisse plus aucun doute. A moins de pouvoir justifier plus tard de sa bonne foi qui libère de toute responsabilité pénale.

L'honneur, la considération, l'intégrité ne sont pas des concepts vides de sens. Bien au contraire. Leur sens est bien défini dans la réalité sociale. Dès lors qu’une personne produit un acte mensonger pouvant avoir des répercussions néfastes sur la dignité, le respect, l’intimité d’une autre personne, il s’agit d’atteinte à l’honneur, à la considération ou à l’intégrité morale. De tels actes mensongers sont pénalement repréhensibles.    

Qu’en est-il de la satire sociale et politique ? Faire de la satire ce n'est pas mentir. C'est dire les choses telles qu'elles sont, c'est dénoncer le mauvais fonctionnement des institutions. La satire des mœurs n’est pas punissable. Dans toute démocratie, tout citoyen dispose du droit de dénoncer les mauvaises conditions de vie, d’attaquer les vices de la société et de critiquer les défaillances des institutions politiques. C’est un exemple clair de la manifestation de la liberté d’expression et d’opinion.

Toutefois, la satire personnelle peut être punissable. Nul n’est permis de critiquer la vie privée ou les choix personnels d’autrui. En ce sens, la satire ou la critique personnelle peut être assimilée soit à la dénonciation calomnieuse soit à la diffamation publique.    

Qu’en est-il du droit de la défense ? Toute personne a le droit de tenter de se justifier lorsqu’il lui est reprochée la commission d’une infraction ou d’un acte moralement blâmable. Ce droit de défense réputé sacré n’implique pas la permissivité ou la tolérance des mensonges. Celui qui choisit de mentir par devant des autorités (judiciaires, politiques, religieuses, morales, parentales, etc.) doit savoir qu’il sera confronté aux faits qui, eux, ne mentent jamais. Tôt ou tard, les faits feront remonter la vérité à la surface.

Pour résumer :

• La diffamation, la calomnie, l'injure sont des infractions voisines mais bien distinctes.

• Tout mensonge, nuisible à l'honneur, l'intégrité, la considération qui sont des attributs de la personne humaine, est susceptible de sanctions pénales.

• Le mensonge, dans sa manifestation multiforme, est toujours punissable sauf dans les circonstances du petit mensonge dépourvu de toute intention nocive.

• La loi définit le champ des libertés. La confusion entre liberté et licence pose le risque de déstabilisation de la société.  

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Avocat et Magistrat de profession.