jeudi 13 avril 2017

Faut-il rejeter le français en Haïti?

Réformer l’enseignement des langues en Haïti

La présence du français et du créole a toujours remué la société haïtienne, mais jamais avec autant d’acuité que ces derniers jours où les journaux, les réseaux sociaux, les établissements scolaires, les centres universitaires s’interrogent sur le niveau de compétence de communication des dirigeants politiques en français. Des situations de communication où certaines personnalités politiques bafouillent, marmottent des discours, trébuchent sur les mots comme un enfant en difficulté d’apprentissage de lecture, sont venues consterner la société entière (monolingues et bilingues) en ravivant le débat sur la nécessité de réformer l’enseignement des langues en Haïti.

Le français semble constituer une barrière infranchissable au point que certains appellent à l’instauration du monolinguisme, donc la reconnaissance unique de la langue créole. Une solution envisagée pour contourner la situation de diglossie entre le créole et le français. De l’avis de plus d’un, c’est la meilleure option pour valoriser la langue maternelle. D’où la question de savoir s’il existe une incompatibilité ou une contradiction dans la promotion simultanée du créole et du français. Ou encore faut-il préserver un pays bilingue en changeant les méthodes didactiques ?  

Ce débat, initié au dernier quart du XXe siècle (1975), resurgit avec force et secoue les passions pour les valeurs identitaires. Toutefois, en prenant en compte la position géographique d’Haïti, les réalités du marché du travail avec ses exigences de compétences plus approfondies dans tous les domaines et l’influence incontournable de l’anglais comme langue universelle au niveau mondial, il est clair que le pays vit de fait une situation de plurilinguisme (plusieurs langues).

Dans cet article, je me livre à une réflexion prospective en conduisant une analyse critique du multilinguisme et de l’enseignement des langues vivantes étrangères en Haïti dans la perspective d’apporter une contribution constructive au débat autour de cette question.

Haïti: à l’intersection de plusieurs langues              

La localisation géographique d'Haïti l'expose à l’intersection de plusieurs langues. Certes, la société parle majoritairement le créole ; mais outre le français, l'influence des autres langues étrangères de la région n'est pas moins considérable. Le langage haïtien est de plus en plus pénétré de vocabulaires issus de l'espagnol et de l'anglais. Si le bilinguisme a été entériné par la Constitution de 1987, parallèlement s'est développée une situation multilingue de fait alimentée par les besoins économiques et par les exigences du marché du travail.

La coexistence du français et du créole a toujours été critiquée. Certains ont estimé que le créole a gagné en prestige et qu'il est grand temps de rejeter la langue coloniale. Ainsi, la concurrence entre le français et le créole se fonde sur la notion de prestige du langage. Aujourd'hui, avec la logique économique qui prédomine, la notion de prestige du langage fait plus de place à l'anglais et à l'espagnol.

La concurrence entre le créole et le français

Si les deux langues sont officiellement reconnues, seulement un faible pourcentage de la population (30%) les maitrisent au même niveau de compétence. Le créole, la langue véhiculaire principale, est utilisé dans toutes les situations de communication. Cependant, il est relégué au second plan quand il s’agit des affaires administratives et académiques. Même lorsqu’il est reconnu comme langue d’enseignement, les institutions scolaires et universitaires continuent d’exiger l’usage du français comme principal vecteur de transmission des savoirs. A l’école, les professeurs utilisent le créole essentiellement pour gagner la compréhension générale.          

La pratique du créole est surtout confinée aux activités orales. Cette culture orale connait un certain développement qui se trouve limité par la carence de vocabulaires scientifiques et techniques. Ce n’est pas la structure du créole qui pose problème mais c’est l’absence du travail de promotion de la langue : pas de livres scientifiques ni d’ouvrages technologiques en créole.      De plus, l’Académie Haïtienne, prévue par la Constitution, chargée de valoriser et de promouvoir la langue créole, n’a pas encore vu le jour. 

Dans les circonstances officielles et dans les domaines de l’écrit, le recours au français est privilégié, non pas parce que le créole est indigne ou peu prestigieux, mais en vertu de la fonction symbolique du français pour marquer le caractère solennel ou officiel d’une cérémonie en Haïti. Bref, le français est la langue des grandes occasions. C’est pourquoi nos dirigeants politiques s’évertuent à prononcer leur discours en français alors que rien ne les interdit de parler créole quand ils n’ont pas le niveau de compétence convenable en français.  

L’utilisation du français donne du fil à retordre à cause de la façon dont il est enseigné à l’école depuis plus de trente ans. Il faut le rappeler : ce sont ceux qui ont eu la chance d’être scolarisés qui ont pu atteindre un certain niveau de compétence en français. Pour la majorité de la population encore frappée par l’analphabétisme, le français demeure une barrière. Et, même au niveau de l’enseignement, le français constitue un obstacle à l’apprentissage pour de nombreux élèves et étudiants. Là encore, en raison des méthodes pédagogiques qui ont ignoré la valeur communicationnelle du français.

Le français (parlé et écrit) en Haïti est véritablement « littéraire » et est la plupart du temps constitué de formules sonores vides de sens. La recherche de la beauté formelle prime sur le besoin de communiquer clairement et simplement. C’est donc un français qui sert à faire preuve de pédanterie ou de domination sociale. Certes, chacun est libre de vanter de ses compétences particulières. Cependant, quand une langue devient un outil de discrimination sociale, il y a lieu de redéfinir ses fonctions au sein de la population. A ce niveau, il faut se demander pourquoi parler français en Haïti.

La nécessité de maintenir et de promouvoir une culture bilingue au pays se justifie par l’ouverture que donne le français sur le monde et sur les domaines de connaissances universelles. C’est une langue très riche qui a été au cours du XVIe et XVIIe siècles la langue des intellectuels du monde entier. C’est aujourd’hui l’une des trois langues officielles des Nations-Unies. Le monde de la francophonie offre d’énormes opportunités sur le plan culturel. L’artiste ou l’écrivain qui présente ses œuvres en français, anglais ou espagnol s’offre plus de chance de percer sur le marché international. La connaissance du français est en ce sens un facteur de réussite professionnelle.               

En Haïti, même ceux qui ne parlent que le créole souhaitent que les professionnels, les politiciens puissent s’exprimer convenablement en français. C’est dire qu’ils reconnaissent alors son importance du point de vue professionnel. Dans l’ensemble, la population haïtienne ne s’oppose pas au bilinguisme. Elle exige la promotion du créole, élément de son identité, mais également la maitrise minimale du français comme preuve que les professionnels et les politiciens ont eu accès à des connaissances plus avancées.

Il faut aussi remarquer qu’à la faveur des mouvements migratoires, la population haïtienne est de plus en plus ouverte à la pratique de l’anglais et de l’espagnol. Et, même au pays, les entreprises exigent comme critères d’embauche, outre le français, la maitrise de l’anglais ou de l’espagnol.   

La place de l’anglais et de l’espagnol aujourd’hui en Haïti

L’anglais et l’espagnol prennent considérablement de l’importance en Haïti. L’anglais est aujourd’hui la langue des affaires à l’échelle mondiale. L’espagnol est la seconde langue la plus parlée au monde en termes de natifs, et connait une expansion considérable aux Etats-Unis, première puissance économique du monde. Ces deux langues ont toujours été enseignées à l’école. Comme pour le français, les méthodes didactiques se fondent sur l’apprentissage de la grammaire et de l’orthographe. La fonction communicative n’est pas prise en compte. Toutefois, ces derniers jours, avec l’influence économique et culturelle des Etats-Unis, le déplacement massif d’étudiants vers l’Amérique latine et le flux migratoire considérable de plus de dix mille Haïtiens par année, l’anglais et l’espagnol pénètrent le langage haïtien et dans les milieux ruraux et dans les milieux urbains.

De plus en plus de jeunes parlent ces deux langues couramment et bien souvent mieux que le français. Certains ont acquis la base nécessaire à l’école. D’autres ont atteint leur niveau de compétence grâce à leurs propres efforts d’apprentissage. Cet engouement pour ces langues s’explique par le besoin de saisir les opportunités économiques au pays ou ailleurs. La connaissance de ces langues semble être aujourd’hui un meilleur garant d’ouverture professionnelle que la maitrise du français.

Par rapport à l’anglais et à l’espagnol, le français est en net recul. L’anglais occupe notamment de plus en plus de place. Car, c’est une langue facile avec généralement des mots d’une ou deux syllabes. De plus en parlant l’anglais, les gens réalisent qu’ils ne sont pas soumis à l’hypercorrection comme en français. Il suffit d’ajuster les mots pour se faire comprendre. Ce qui permet à l’anglais de gagner une plus grande valeur que le français en termes d’instrument de communication. Et, quant à l’espagnol, il s’impose sans aucun problème, car il est parlé à travers toute l’Amérique latine qui ouvre les portes de l’opportunité d’emploi.     

Les entreprises et les Organisations Non Gouvernementales (ONG) ont contribué également à la montée de ces deux langues. Elles requièrent la capacité de s’exprimer dans l’une de ces deux langues comme condition d’emploi. Les jeunes ont vite compris ces enjeux. Là où ils ne peuvent coller deux mots français, ils sont parfaitement à l’aise à le faire en anglais. Et, souvent, ils apprennent ces langues grâce aux chansons étrangères sans se soucier des contraintes de la grammaire. Voilà pourquoi, je soutiens l’idée de réformer l’enseignement des langues étrangères en Haïti en mettant l’emphase sur l’aspect communicationnel.  

Un autre facteur justifiant la place qu’occupent progressivement l’anglais et l’espagnol en Haïti est la technologie. Le domaine de l’informatique est fortement influencé par la montée en puissance des Etats-Unis. L’internet est dominé par l’anglais. La culture hispanique est très présente également sur internet à travers les chansons et les séries télévisées qui plaisent énormément à la jeunesse (en fait, pas seulement la jeunesse).

Améliorer la capacité de communication en créole et dans les langues étrangères

L’enseignement des langues étrangères en Haïti est compromis par les méthodes traditionnelles mettant l’accent sur la grammaire et l’orthographe, et faisant peu de place à la communication (fonction communicative). En insistant sur les aspects formels de la maitrise des langues, mais non sur les compétences communicationnelles, ces méthodes ont entrainé la situation que l’on voit aujourd’hui. Les spécialistes parlent d’insécurité linguistique.

Plus simplement, il faut parler de l’échec d’une éducation non fonctionnelle en Haïti. Car, la communication orale et écrite, base de tout système éducatif, forme aujourd’hui encore un obstacle pour la majorité de la population. Ce n’est pas uniquement en français. Même en créole, on peut observer le problème de structuration de la pensée. Or, il faut maitriser la langue maternelle pour être en mesure de bien communiquer dans une langue étrangère. Donc, c’est la méthode d’enseignement des langues qu’il faut repenser complètement.

La réforme de l’enseignement des langues doit inclure des stratégies claires et réfléchies, elle doit alors prendre en compte les réalités sociales, géographiques, culturelles et surtout la réalité du marché de l’emploi. Le but de l’enseignement des langues ne doit pas être la réussite à un examen de grammaire et d’orthographe. L’objectif principal doit tendre vers le développement des compétences communicationnelles. Ce qui implique la nécessité d’avoir des outils pédagogiques appropriés, de créer des conditions d’apprentissage stimulant et de changer les procédés d’évaluation des apprenants en langues.      

Ce problème de communication a des conséquences profondes sur la vie sociale. La difficulté de communiquer s’accompagne souvent d’un sentiment d’infériorité, de repli sur soi. L’incapacité à communiquer rend violent. Quand les gens sont bloqués par la peur, la honte, le manque de confiance ou l’impossibilité de construire leurs idées, ils deviennent frustrés et ont beaucoup plus tendance à être violents. Ce n’est pas étonnant que la violence soit un mode de résolution des conflits dans la société haïtienne. Car, là où la capacité d’instaurer un dialogue ou de mener une discussion fait défaut, les pulsions violentes prennent automatiquement le dessus.

Le français n’est pas un blocage à la promotion du créole. Bien au contraire ! Il n’y a aucune incompatibilité entre les deux langues. Les deux appartiennent au patrimoine historique du pays. Il faut donc les promouvoir ensemble. Le français, par sa richesse, peut aider à renforcer le créole. Il ne s’agit pas de faire du créole une sorte de français déformé, mais d’observer comment les mots français sont pris dans la réalité sociale du peuple haïtien, puis de suivre cette reproduction du langage populaire. Ainsi, les mots créoles dérivés du français ne seront pas étrangers à la réalité du peuple.

Une autre façon d’améliorer la capacité de communication tant en créole que dans les autres langues serait de les enseigner en synergie. Il faut créer des outils d’apprentissage capable de permettre à l’apprenant de trouver rapidement une référence dans sa langue maternelle par rapport à ce qu’il découvre dans les langues étrangères. Cette méthode de référencement éliminera l’idée d’infériorité d’une langue par rapport à l’autre, puisqu’elle aidera à traduire le fond de la pensée suivant la structure particulière de chaque langue.        

En définitive, la position géographique d’Haïti explique qu’elle soit soumise à l’influence des diverses langues de la région. Lors même que le créole et le français soient les langues officielles, très peu d’habitants ont le même niveau de compétence dans les deux langues. Dans la pratique, le créole est réservé aux domaines de l’oralité, tandis que le français est largement utilisé au niveau de l’administration et de l’enseignement.  

L’usage du français est devenu de plus en plus problématique en raison des méthodes traditionnelles d’enseignement. Le français demeure une langue littéraire qui ne remplit pas vraiment une fonction de communication au sein de la société. Cependant, la population continue de reconnaitre son importance pour sa richesse culturelle et sa valeur intellectuelle. Le bilinguisme est accepté en Haïti.

Depuis quelques années, en vertu de l’influence économique et culturelle des Etats-Unis et de l’augmentation considérable des flux migratoires, l’anglais et l’espagnol se sont fait une place importante en Haïti. D’où la nécessité de les considérer dans la logique d’une réforme de l’enseignement des langues.   

Le problème de communication tant en créole que dans les autres langues étrangères dénote la faillite du système éducatif haïtien. L’éducation haïtienne n’est pas fonctionnelle. L’enseignement des langues doit être révisé de fond en comble. Cette réforme, en se fondant sur une politique éducative raisonnée, doit tenir compte des capacités de chaque apprenant, de l’adaptation des outils pédagogiques, du besoin de valoriser davantage les compétences communicationnelles. 

Mon opinion, n’étant pas péremptoire, est soumise aux critiques et à l’interaction afin d’approfondir le débat sur la problématique de la communication orale et écrite en Haïti.

3 commentaires:

Unknown a dit…

Bravo mon Cher ami!

Unknown a dit…

Ou di anpil bel bagay wi frem nan tex ou a

Unknown a dit…

Le français tue les haïtiens!!!

Fâcheux, fâcheuses qui veulent l'entendre. La langue française, en un mot, fait beaucoup plus de tord que de bien à la nation. La population haïtienne hérite la langue des colonisateurs qui établit un scisme entre ceux et celles qui connaissaient la misère infernale de la code noire...

Il faut briser les chaines en bannissant le français dans notre savoir-faire. Que l'Académie de la langue créole fasse oeuvre que vaille de ce fait la langue de l'enseignement sera la langue maternelle. Jusque avant notre mort, nous aimerions que tous les haïtiens puissent se parler et se comprendre en utilisant une seule et même langue. Jusque avant ma mort, nous aimerions avoir une conscience claire en choisissant l'espagnol ou l'anglais comme langue seconde car la position géographique de notre Haïti l'exige bien pour un développement économique.

Avocat et Magistrat de profession.