Constitution de 1987 :
30 ans de crise de citoyenneté active et constructive.
Le dernier quart du XXe siècle, époque charnière de l’histoire nationale, fut marqué par la naissance de la démocratie. La conjugaison des forces citoyennes alliées aux forces politiques, eut raison de l’autoritarisme systématique, il est vrai, constante de l’évolution politique d’un peuple affamé de l’essentiel paradoxalement content du strict minimum. Le triomphe quasi-unanime d’une nouvelle loi-mère destinée à enfanter les aspirations légitimes fut vécu à l’instar d’une manifestation trop longtemps attendue de l’insurrection de la conscience citoyenne contre la sujétion de l’arbitraire et de l’intimidation.
Sous le signe de la démocratie, sous la poussée de la conjoncture, renait au travers de l’écheveau des tendances une idée qui constituerait la réconciliation du peuple avec lui-même, la soudure de l’âme patriotique à la conscience individuelle. Il s’agit là de la citoyenneté. Le concept et sa réalité se perdent malheureusement dans le flot des débats faits de discours aussi populistes qu’électoralistes, apparemment animés de la verve militante du changement mais en profondeur, cette profondeur qui est le for intérieur des dirigeants, des intellectuels, des aspirants politiques, est revêtue d’une perfidie dorée qui confère son éclat au plus fort pourcentage des propos tenus à la tribune du peuple. Alors, loin d’exploiter à l’avantage collectif les mines inépuisables de réflexion que représentent d’alarmants faits sociaux et politiques relativement à la citoyenneté, les occasions, on le sait, plurielles, surgies dans la trame des événements, ont été dissuadées par le désir effréné de l’accession au pouvoir d’une kyrielle de partis politiques joyeux de se livrer à l’exercice de la démocratie qu’ils ne voient qu’à travers le prisme des intérêts de parti sans jamais se sentir incommodés par leur impuissance à montrer leur maitrise de l’enjeu du pouvoir politique.
La méconnaissance des valeurs citoyennes
L’Etat s’est engagé dans un tournant historique décisif avec le vote massif de la Constitution de 1987, une porte restée grande ouverte à l’implication citoyenne à laquelle elle doit d’ailleurs sa création ; en revanche des points d’interrogation ont été vite mis sur les amphibologies de cette charte, sur ses incomplétudes, alors que sont escamotées les interrogations sur les valeurs qui y sont énoncées, pourtant cruciales au progrès humain, à la cohésion sociale, à l’amélioration du cadre de vie collective. L’échelle des valeurs fondamentales de la citoyenneté semble occuper très peu les intérêts au niveau de l’échiquier national.
Les divergences partagent si profondément cet échiquier national, que nul doute ne subsiste quant au rejet de la tolérance de l’antagonisme – la tolérance tout uniment – comme valeur à assimiler et à inculquer. Or, le respect effectif des valeurs citoyennes dans une démocratie ouvre la voie de la complémentarité à travers les différences elles-mêmes. Cette vision se situe dans la ligne de mire des Constituants de 1987 en dépit des préjugés politiques à l’encontre des duvaliéristes.
L’année 1986, deuxième indépendance. Une indépendance qui n’aurait pas dû signifier seulement l’affranchissement total du joug des miliciens et des macoutes mais qui devrait essentiellement sous-entendre l’héroïsme d’assumer les responsabilités ainsi que les contraintes qu’imposerait la communauté en vue d’aujourd’hui et de demain. Etre indépendant, alors c’est être responsable.
La déresponsabilisation citoyenne
Se fondant sur le principe de la souveraineté, la Constitution construit, pour le moins théoriquement, une nation, un Etat démocratique. Les libertés conjuguées engendrent l’émancipation générale dont le corollaire normal est la coresponsabilité, le copartage de la nécessité du changement. A ce carrefour, quelle conscience n’est pas interpellée ? Là, les menaces communes, le besoin de changement sont fédérateurs. Ici, la nature, la définition, l’orientation du changement ne le sont pas généralement. Toutefois, le choc se ressent à défaut d’un partage réel des responsabilités.
Le chaos règne en maitre en l’absence de responsabilité. C’est là souligner un aspect du problème fondamental que confronte l’Haïti actuelle. L’Etat ayant à ses rênes des dirigeants qui ne dirigent pas, et les citoyens semblent abandonner leur vie, leur destin à la dérive. La relation générale : gouvernant-gouverné exclut-elle de fait la contribution des gouvernés dans l’accomplissement du changement ? L’adoption de la démocratie par rapport à cette question entraine la négation, car elle se fonde sur l’apport des citoyens à la construction d’aujourd’hui et de l’avenir. C’est dire que les dirigeants apprennent à diriger en suivant la démarche des citoyens. L’indignation se dit : quels dirigeants ! Mais aujourd’hui, devrait-on s’indigner : quels citoyens !
La transition d’Haïti vers la démocratie achoppe sur la définition de la qualité et des dirigeants et des dirigés. Un peuple, dit-on, a toujours le gouvernement qu’il mérite. Ce qui reviendrait à dire que le citoyen haïtien mérite la misère et la paupérisation, le chômage et l’inflation, etc. Du moins, le citoyen haïtien mérite la médiocrité qu’il supporte sans gêne ces derniers jours. Ce semble, la pesanteur du laxisme est paralysant.
La nécessité d’un changement comportemental
Toutefois, dans cette velléité d’embrasser la démocratie à pleine bouche, le citoyen haïtien conçoit sa citoyenneté comme une simple juxtaposition dans un groupement humain, donc une identité de fait que la plupart voudraient bien renier ; mais non comme un sentiment d’utilité et d’attachement à la collectivité. Logiquement la confusion citoyenneté et nationalité n’est pas en soi un problème, ce qui pose problème est la question de l’identité et le fait que dans les débats sur la nationalité, en particulier la double nationalité, cet aspect de l’utilité d’appartenance à la communauté est véritablement sous-estimé à une époque où même les plus grandes puissances reviennent sur la valeur de l’identité nationale, donc le sens profond de la citoyenneté.
La prise de l’engagement démocratique de l’Etat s’est manifestée par la reconnaissance constitutionnelle des mécanismes de participation et des organes de protection du citoyen. La décentralisation, l’office de protection du citoyen, le renforcement du Ministère de la Justice, la proclamation de l’indépendance juridictionnelle, etc. correspondent aux vœux d’une démocratie participative. Ce sont là des acquis. Néanmoins, comment les rendre effectifs constitue la vraie question. Tout le long de la phase transitoire, les promesses se sont multipliées, les attentes ont été refoulées. La transition n’en finit pas. L’on réalise alors que l’atterrissage ne sera possible que s’il s’observe un revirement comportemental du citoyen. Comme le changement globalement souhaité, le changement comportemental est une œuvre de longue haleine qu’il est inconcevable de cristalliser dans un délai restreint. Mais c’est une œuvre possible à mesure de consacrer les énergies nécessaires et de croire inébranlablement dans le changement.
Citoyen sans conscience n’est que ruine de l’Etat.
La configuration actuelle de l’Etat haïtien n’est que le résultat des turpitudes du comportement du citoyen. C’est un fait indéniable : citoyen sans conscience n’est que ruine de l’Etat. L’insouciance se généralise. Comment peut-on espérer le changement dans un contexte de démotivation quasi-générale ?
En effet, le constat actuel révèle qu’aucune préparation, aucune assise pour asseoir les idéaux démocratiques n’ont été réellement établies. L’ignorance du plus grand nombre dû à un taux très élevé d’analphabétisme est exploitée au même titre que la misère due aux privations de toutes sortes comme source de richesse qu’il faut éviter de tarir. A quoi bon bâtir ! A quoi bon construire des routes ! La réalisation effective d’un tel projet mettrait fin aux possibilités d’enrichissement personnel. Le côté désolant c’est qu’il n’y a point une espèce de honte à vivre dans un Etat déjà faible et pauvre dont la misère tend à devenir l’une des principales sources d’enrichissement. La honte figure parmi les alternatives gênantes que l’on doit se garder de suivre pour ne pas avoir à se repentir.
Il est évident qu’il s’agit là d’une profonde lacune à la fois morale et civique que chacun, à travers des initiatives personnelles ou collectives, doit s’évertuer à combler. Le changement social passe d’abord par le changement comportemental. A l’école de la démocratie, c’est la première de toutes les disciplines. L’effort sur soi constitue la toute première étape de la transformation sociale. Les libertés constitutionnellement garanties devraient s’exercer en ce sens, à savoir l’affirmation de soi en tant qu’être utile et constructeur.
Une citoyenneté constructive serait-elle une utopie ? Si elle est perçue en tant que changement global, elle n’est qu’un rêve sans aucune perspective d’insertion dans le réel. Si elle est entendue comme possibilités multiples d’action déclinées en des stratégies méthodiques de concrétisation d’objectifs valables pour tous, la citoyenneté constructive est bien une réalité négligée.
La médiocrité profite de la léthargie de la conscience citoyenne.
L’Etat haïtien s’est constitué au fil de deux siècles. Les liens entre ses habitants n’ont pas été jusqu’alors cimentés au point que la cohésion sociale demeure absente et compromettante. Cette facette de la réalité de la vie du peuple répugne à la morale de la vie collective, pourtant elle n’a guère été l’objet d’un débat suffisant durant tout ce temps. Négligence voulue, négligence volontaire : voilà qui permet à la misère de nourrir un cercle vicieux intolérable.
La médiocrité sert ainsi de tremplin aux ambitieux en mal de popularité. A ce niveau, il convient de le souligner, le tort n’est pas totalement imputable à ceux qui profitent de la négligence inconsidérée des valeurs citoyennes. En revanche, sont condamnables ceux qui tolèrent, à la faveur de maigres ou de substantiels avantages, de renier leur dignité citoyenne. Celle-ci incluant une forte dose de moralité, par rapport aux satisfactions immédiates que procure toute situation lucrative, est loin de former actuellement un rempart contre les tentations du pouvoir et du matérialisme capitaliste. Alors, la manipulation stratégique de certains et l’insouciance calculée d’autres se comprennent plus aisément. La politique égoïste du « chacun pour soi » trouve sa confirmation au grand dam des générations futures.
Le jeu des tractations et des transactions en sous-main supplante la motivation désintéressée en transformant l’équation citoyenneté – société en un algorithme de machination politique. Dans de hautes sphères de la vie publique, la nocivité de l’incompétence de certaines personnalités n’a point suscité d’inquiétude. Les nominations à couleur politique et partisane en dehors de tout critère de qualification peuvent continuer à être monnaie courante aux yeux du citoyen qui n’est intéressé qu’à guetter le hasard ou le risque qui porterait ses proches ou lui-même à la position de leadership imméritée.
Le clientélisme, s’il est dénoncé, est cependant fort bien apprécié, car les clients ne se révoltent pas contre la démagogie dont ils sont victimes. Ils s’y complaisent peut-être par ignorance ou cynisme, peut-être par indifférence ou insouciance mesurée à l’aune des intérêts privés en compensation. Et qui compose cette clientèle ? Ce sont de ces citoyens qui marchandent leur voix contre l’opportunité d’engranger des bénéfices quelconques ou d’intégrer un beau jour la fonction publique grâce au favoritisme d’un patron politique.
Peu de voix se sont soulevées contre les voix déjà vendues. Mais il n’est pas permis de désespérer d’une situation où la conscience sommeille, tôt ou tard elle finira par sortir de sa léthargie chronique. Il suffit d’attiser et d’activer progressivement sans défaillir les stimuli qui sont dans ce cadre les démarches, les stratégies et les mécanismes d’implication de l’humain à la gestion de sa vie imbriquée à celle des autres.
Le temps est venu d’engager le débat sur la méconnaissance des valeurs citoyennes.
Il devient impérieux de s’impliquer « citoyennement », c’est-à-dire en fondant l’action sur le respect des valeurs attachées à la citoyenneté, pour déclencher le processus de la modernisation sociale, politique et économique de l’Etat haïtien. Subordonner la participation et les initiatives citoyennes au pouvoir du financiarisme c’est faire dépendre la vie de tout individu de certaines institutions bidon. Le citoyen conscient et actif, seul, peut donner vitalité aux institutions dont dépend son bien-être. Autant s’élever contre le phénomène « kout sakèt », la participation conditionnelle subordonnée à l’argent ou tout autre avantage.
Le temps est venu d’engager le débat sur la méconnaissance des valeurs citoyennes. Les médias doivent cesser de colporter simplement quelques plaintes échappées de cas singulier pour suggérer les voies possibles pour finaliser les démarches citoyennes en vue du progrès humain et du progrès social. La mobilisation médiatique manquée autour d’une citoyenneté active et constructive est à déplorer durant ces heures de médiocrité avilissante. Car, la presse a longtemps constaté le manque d’implication des citoyens dans la vie de la cité, un état de fait saisi au bond par les politiciens opportunistes pour agir à leur guise au détriment de l’intérêt national.
Les facteurs à l’origine de la défaillance d’engagement citoyen
En effet, le citoyen haïtien constate au jour le jour la détérioration des conditions de vie, toutefois, son comportement se borne à ce constat stérile. Quels sont les facteurs à l’origine de cette défaillance d’engagement citoyen alors que l’Etat déjà déficient ne cesse d’être extorqué par les détenteurs du pouvoir politique ?
Cette interrogation me conduit à souligner des spécificités de cette problématique sur laquelle les esprits devraient s’appesantir. Aujourd’hui, premièrement, la passivité de l’Haïtien est associée à la méconnaissance des valeurs fondamentales de la citoyenneté. Le citoyen haïtien ignore ou connait mal les principes et les critères qui devraient fonder son comportement dans une démocratie. Ainsi, est-il plus qu’évident que les institutions responsables de la transmission et de l’assimilation de ces valeurs ont eu un rendez-vous manqué avec leur mission essentielle. Il y va particulièrement de la famille et de l’école. Les deux ont subi le contrecoup des avancées impitoyables de la misère.
Deuxièmement, l’immobilisme de la conscience citoyenne est lié au désintéressement à la chose publique. La réaction par rapport aux anomalies et aux manquements se diffère au point de se fondre dans un laxisme suicidaire.
Troisièmement, l’ineffectivité des groupes de pression sociale et de contre-pouvoir est aussi un facteur démotivant. Les résultats insatisfaisants de leurs actions ponctuelles et sporadiques n’encouragent pas l’implication citoyenne d’autant plus qu’ils tombent trop facilement dans les pièges du financiarisme.
Quatrièmement, ceux qui forment la classe intellectuelle de ce pays sont loin d’afficher les attributs d’une véritable élite nationale. L’absence d’une élite équivaut à l’inexistence d’hommes et de femmes conscients de la réelle nécessité du changement et soucieux de batailler pour une plus large perspective de réussite future.
Au fond, le défaut d’une citoyenneté constructive et non passive semble résulter dans le contexte actuel du découragement infertile suscité par l’hypocrisie révoltante du jeu politique à travers le fonctionnement discordant des institutions publiques depuis 1987. Mais, il est connexe au mépris des valeurs inhérentes qui trouverait une explication dans l’éclatement de la famille et le rejet du savoir comme moyen de réussite sociale. En fait, si les valeurs citoyennes sont méprisées, la chose publique est tout-à-fait négligée au profit des intérêts privés et de l’orgueil de se valoriser au-dessus de la misère d’autrui. Le non abnégation aux intérêts collectifs a pour effet de laisser s’accomplir la pesanteur des maux sur le sort du pays. Une fatalité marquée par le préjugé d’intellectualisme, l’exploitation des plus faibles et la course à l’enrichissement.
En définitive, l’Etat d’Haïti est vu sur le plan international comme un mauvais élève de la démocratie. En dépit de la promulgation d’une charte fondamentale consacrant le respect des principes et des idéaux démocratiques, la volonté réelle de mettre en place les institutions nécessaires laisse perplexe. La violation des droits, la faiblesse des institutions, l’échec de la décentralisation sont des indices d’une démocratie en crise. Les conditions de vie se dégradent continuellement. La misère est source de richesse. La corruption ronge les administrations de l’Etat. La démocratie peine à se développer.
Face à cette situation critique, l’action citoyenne est inefficace s’exerçant sans aucune méthode. L’égoïsme, l’électoralisme, l’opportunisme imprègnent fortement le contexte sociopolitique. Ainsi, les valeurs citoyennes s’effritent. Et aucun débat structuré n’est agité autour de cette question de la déperdition des valeurs citoyennes. De toute façon, il est bien dommage que des institutions comme la famille et l’école perdent leur importance et ne remplissent que passablement leur mission dans le cadre de la société haïtienne.
Il devient urgent de travailler dans le sens de raccordement des liens entre les haïtiens pour faire échec aux pratiques démagogiques et pour parvenir à créer une véritable communauté de frères et sœurs. Telle est la grande perspective de cette analyse. Il importe de repenser la citoyenneté pour l’avènement d’une élite nationale dont le militantisme occasionnerait la renaissance haïtienne.
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