La communication judiciaire:
Comment la Justice communique avec les justiciables?
La société actuelle manifeste
un intérêt croissant par rapport aux questions de justice. Il s'observe une
profonde méfiance vis-à-vis de l'institution judiciaire qui est de plus en plus
remise en question par les personnes poursuivies, les victimes d'infractions,
bref par les justiciables obligés de fréquenter les couloirs et les salles des
tribunaux et des parquets. Son fonctionnement et ses décisions s'exposent aux
critiques médiatiques et alimentent les discussions quotidiennes de l'opinion
publique. Dans ce contexte social et politique ponctué par la défiance quasi
générale envers l'appareil judiciaire, la question de la communication
judiciaire se pose de manière pratique. Il apparait que l'institution judiciaire
n'est pas comprise, peut-être en raison de la subtilité des suites procédurales
et de l'interprétation technique des normes juridiques ; ni ne se fait pas
comprendre non plus, peut- être en raison d'un défaut de communication :
maladresse, inaptitude, négligence ou d'une application insuffisante des
techniques et des principes régissant le dialogue de l'institution avec la
population en demande incessante et pressante de garantie de ses prérogatives
et de ses libertés.
La communication judiciaire: une nécessité
La persistance de
l'incompréhension des aspects fonctionnels de la Justice dans une société déjà
fragilisée par la précarité des conditions de vie démontre la nécessité de
penser ou repenser une forme de communication institutionnelle susceptible de
projeter un éclairage sur les interventions de la police, les mesures décidées
par les magistrats de l'ordre judiciaire. Cet article se veut une réponse à
cette nécessité sociale. Au-delà de la gouvernance de la Justice qui constitue
une problématique récurrente, la nécessité d'une communication judiciaire
efficace s'impose au regard de tous les secteurs de l'organisation sociale. Les
enjeux en sont énormes. Quand la police échoue dans sa communication avec la
société, il s'ensuit des troubles, des agitations aux conséquences toujours
désastreuses. L'échec de la communication institutionnelle provoque le désordre
social en déclenchant d'importantes vagues d'indignation et des manifestations
de violence populaire au dénouement sanglant, catastrophique. Par ailleurs, la
communication institutionnelle efficace établit des rapports apaisés entre la
société et les services publics et favorise un climat de progrès en recherchant
l'adhésion de chacun. Quand les décisions de justice inspirent le doute, c'est
qu'elles ne sont pas suffisamment explicitées au regard des circonstances des
faits, des tentations politiciennes démagogiques et des pressions médiatiques.
Cet article correspond à la
volonté de souligner l'importance de la communication judiciaire en vue de la
consolidation du tissu social et de la croissance économique. Si l'efficacité
de la justice détermine les conditions de progrès d'une société, les
déficiences du système explique que le pays soit tenu aussi longtemps à l'écart
du développement. Sortir de l'impasse de la précarité matérielle et des
frustrations dues à l'insatisfaction des besoins élémentaires est un vœu
formulé par l'ensemble de la population. L'une des étapes stratégiques pour y
parvenir consiste en la capacité de l'institution judiciaire à « communiquer ».
Cet article sur la
communication judiciaire s'adresse à tous les membres du corps social. Chacun
peut y découvrir les règles de la communication judiciaire et apprécier
désormais sans passion les activités matérielles des agents de la justice. Du
coup, chacun peut entrer avec conviction et méthode dans le processus d'échange
avec l'institution judiciaire en faisant valoir son droit à l'information, au
respect de sa dignité, de sa pensée et de sa croyance.
La
communication judiciaire : Acception générale
En matière de justice, la relation qui s'établit
entre les justiciables adultes ou mineurs, la presse, les institutions privées
ou publiques et les magistrats (siège, parquet) prend le nom de communication
judiciaire. Le magistrat est un critère organique permettant une approche
générale de la communication judiciaire. On dit toujours le tribunal est là où
est le juge. Sa façon de communiquer avec son environnement renvoie une image
de la justice. Le magistrat est l'organe de la communication judiciaire partout
et dans toutes les circonstances où il peut être question d'intervention de la
justice dans la vie sociale. Sous l'angle de cette conception organique, la communication judiciaire englobe de
manière générale les rapports que noue le magistrat en tant que représentant de
l'institution judiciaire avec tous les gens qu'il est amené à fréquenter dans
son cercle d'intimité et qui se font une idée de l'état de la justice à travers
son attitude aussi bien qu'avec les gens impliqués dans une affaire spécifique
en attente d'une réponse de la justice ou qui se trouvent amèrement remontés
contre une décision de justice.
La communication judiciaire est indissociable de
l'éthique à la base de la magistrature et les techniques afférentes intègrent
pour une large part les règles déontologiques de la retenue, de l'objectivité
et de la distanciation émotionnelle. Outre les rapports avec les justiciables,
la communication judiciaire inclut les relations entre les magistrats eux -
mêmes et avec le personnel des Cours et Tribunaux : huissiers, greffiers,
secrétaires, commis-parquet, etc.
Communication
judiciaire : Acception restreinte
Une approche plus restrictive ramène la
communication judiciaire à l'application des règles et des techniques de la
communication dans le traitement des affaires judiciaires. Cette approche
repose sur le critère matériel de la technicité communicationnelle. Dans le dessein
de faciliter la compréhension des enjeux procéduraux, le recours aux techniques
de communication s'est révélé un moyen efficace. Et l'exploration de ces
techniques a permis de dégager des règles spécifiques aux situations de
communication judiciaire. Les juristes notamment les magistrats, sont
conscients du rôle essentiel de la communication quant aux procès et aux
questions que soulève le droit. L'explicitation des normes juridiques et des
intérêts en litige dans le cadre des procès constituent des enjeux énormes pour
la communication judiciaire. La crédibilité de la justice et du magistrat
dépend de sa capacité à transmettre les informations juridiques, à élaborer un
langage commun avec les justiciables, à exprimer objectivement une position ou
une réaction de manière à montrer une gestion efficace du dossier. Sous cet
angle purement technique, la communication judiciaire désigne l'ensemble des
procédés oraux et écrits mis en œuvre par le magistrat pour construire et
expliciter une réalité et légitimer une décision à l'égard des personnes
parties au procès, des médias et de l'opinion publique.
L'objet de la communication judiciaire consiste
à construire et à expliciter une réalité. Il s'agit d'appliquer des règles et
des techniques permettant la présentation des faits sans appréciation
personnelle ni commentaire sur le fond. Il s'agit également de pouvoir
expliquer les faits en tenant compte du contexte global des circonstances dans
lesquelles ils se sont produits, c’est-à-dire de savoir privilégier les
explications situationnelles plutôt que les explications dispositionnelles.
Enfin, la communication judiciaire vise à légitimer une décision ou la position
prise par la justice en collaborant avec les médias dont l'influence est
considérable sur l'opinion publique de façon à éviter la diffusion
d'informations inexactes, à clarifier les notions de droit méconnues par la
majorité de la population. Ce travail auprès des médias et de l'opinion
publique aide à soigner la réputation de l'institution judiciaire.
La
communication judiciaire : un nouveau métier
La communication judiciaire est aujourd'hui un
nouveau métier. Elle répond à un besoin social d'accessibilité à la justice,
vise l'amélioration des pratiques judiciaires et requiert l'acquisition de
savoir-faire passant par la maîtrise des règles et des techniques présidant les
relations entre le magistrat et les justiciables.
Les exigences de la modernisation imposent à la
justice de développer des moyens de communication efficaces dans le but de
satisfaire les attentes légitimes de la population qui garde généralement
d'elle l'image écorchée et corrompue que lui présentent les grandes lignes
éditoriales des médias qui, en quête d'un auditoire plus large, exposent les
affaires judiciaires sous une forme dramatique et sensationnelle et en les
associant souvent à d'autres événements antérieurs où étaient constatés des
dysfonctionnements de l'appareil judiciaire. Pour préserver la réputation d'une
institution dont dépend l'ordre public, la communication judiciaire apparaît
comme cette nouvelle spécialisation à laquelle doivent se former les juristes
et les magistrats. Les professions judiciaires sont les plus dénigrées dans
l'opinion publique. En se formant à la communication judiciaire, les magistrats
se dotent d'instruments techniques leur permettant de répondre à la nécessité
d'améliorer les structures judiciaires et de regagner la confiance de la
population qui les définit comme des forces enracinées dans les pratiques de la
corruption.
Le besoin de transparence et d'objectivité est
fortement exprimé parmi les améliorations souhaitées par la société qui exige
de comprendre la justice, de pouvoir "communiquer" avec elle. Le
développement de la communication contribue à l'accessibilité de la justice et
réduit l'insécurité juridique. C'est ainsi que la communication judiciaire
participe à la modernisation du service public de justice.
La justice est aujourd'hui
"communiquée", c'est-à-dire ses décisions font désormais l'objet de
présentation et d'explication auprès du public. Ce qui doit se réaliser dans le
respect des techniques communicationnelles. Le juge n'est plus tout uniment un
professionnel isolé dans son bureau pour délibérer et décider. Ses décisions
rendues au nom de la république l'exposent à des critiques et la société exige
qu'elles soient traduites dans un langage accessible et qu'elles puissent
s'expliquer à la lumière des valeurs et des normes fondamentales de la
république. Pour une meilleure application des principes d'accessibilité et de publicité,
le champ de la communication judiciaire s'ouvre comme un nouveau domaine à
explorer par les juristes.
Caractères
de la communication judiciaire
La communication judiciaire est une forme de
communication publique et institutionnelle.
A- Elle est une communication publique parce que :
· La
justice est un service public ayant une mission d'intérêt général
· La
publicité est un principe régissant son fonctionnement
· La
communication judiciaire suppose la communication d'informations autour des
missions et des attributions des différents organes du secteur de la justice.
Elle vise à faire comprendre le sens leurs décisions et de leurs interventions
auprès du public. Elle soutient le progrès des relations entre la société avec
la justice.
B- Elle est une communication institutionnelle parce que :
· La
communication judiciaire tend à promouvoir les valeurs de la justice
· Elle
concourt à soigner la réputation de l'institution judiciaire
· Elle
améliore les relations entre la justice et le corps social, notamment avec la
presse
La communication judiciaire est aujourd'hui un
mécanisme indispensable au fonctionnement de la justice. La communication
judiciaire trouve sa base légale et juridique dans le Code d'instruction
criminelle, la loi sur l'organisation judiciaire et le statut des
magistrats.
L'intérêt
pratique de la communication judiciaire
Les médias, notamment la télévision et la radio,
exercent une pression importante sur les magistrats qui se sentent dans bien
des cas incommodés par les questions des journalistes en quête d'informations.
Cette situation parfois gênante ne peut être gérée que par des magistrats
maîtrisant les techniques de la communication judiciaire. Face à des
journalistes voulant satisfaire l'attente de l'opinion publique, il faut
évidemment un certain art dans la prise de parole et dans le choix des mots
pour ne pas se laisser emporter par le courant des influences politiques, des
interprétations simplificatrices destinées à plaire à des catégories sociales
spécifiques. L'intérêt de la communication judiciaire réside dans la
possibilité qu'elle offre aux magistrats de rejoindre les propos médiatiques et
ceux des personnes intéressées afin de les placer dans le contexte global des
faits pour construire un sentiment de justice.
La construction de ce sentiment de justice
s'écarte des actions de communication de nature démagogique puisqu'elle doit se
réaliser sans aucune manipulation dans le choix des informations judiciaires,
sans accorder une dimension considérable aux circonstances aggravantes. Les
magistrats sont de plus en plus confrontés à la tentation de démagogie
judiciaire. Ils sont exposés aux influences électorales, politiques et
commerciales. Comme ils sont appelés à faire régner un sentiment de justice en
statuant sur une multitude de contentieux, ils doivent garder la conscience de
la délicatesse et de la fragilité de leur position et savoir comment intervenir
auprès des justiciables et de la presse pour ne pas éclabousser l'institution
judiciaire ni salir leur image personnelle. Ainsi, la communication judiciaire
trace la procédure à suivre au tribunal de l'opinion publique. Elle propose les
règles de fond et de forme applicables avant, pendant et après un procès qu'il
soit potentiellement médiatisé ou apparemment banal. La communication
judiciaire se fonde sur le postulat de l'écoute de la société, de ses préoccupations,
de ses questionnements et sur le rejet des goûts fantaisistes, des passions
fanatiques, de l'emballement de l'opinion des membres de la société.
La justice est confrontée aujourd'hui à un
énorme défi : regagner la confiance de la société. C'est dans cette perspective
que se comprend l'importance de la communication judiciaire qui peut être
résumée dans les points subséquents.
L'intérêt pratique de la communication
judiciaire se justifie du fait qu'elle permet :
v De montrer un meilleur
traitement des affaires judiciaires
v D’établir une bonne relation
avec la presse dans le souci de confirmer ou d'infirmer certaines informations.
Cette relation améliorée avec la presse peut aussi permettre au parquet de
réagir plus promptement face à certains faits dont les médias sont au courant
avant les officiers de police judiciaire.
v De montrer que le Ministère de
la justice à travers le parquet veille au respect des droits et des libertés de
chacun en prouvant que ce n'est pas la volonté répressive qui prime, mais la
volonté de tenir un procès équitable.
v De gérer efficacement les
dossiers : tous les aspects sont analysés y compris les faiblesses de la
procédure. Les comportements discutables de la justice sont commentés, par
exemple la détention préventive prolongée.
v D’apporter aux lecteurs,
auditeurs et téléspectateurs des informations objectives.
v D’exposer la thèse ou le point
de vue du parquet ou du tribunal sur une affaire.
v De faire un rappel à la loi en
cas d'observation de certaines dérives : violation de la vie privée, de la
présomption d'innocence, du droit d'un mineur victime ou délinquant.
v De promouvoir les valeurs
inhérentes à la justice : les droits de la défense, la loyauté des preuves,
etc.
v De souligner les progrès et
les innovations au niveau de la juridiction et de ses activités.
v De contribuer à l'amélioration
de l'image de la justice. Une communication efficace dégage une bonne
impression auprès de l'opinion publique.
Personnellement, j'attends que
l'article soit commenté et que tout lecteur éventuel confronte leur expérience
particulière aux règles et techniques présentées. Le retour de leur expérience
et de leur commentaire m'aiderait à approfondir la question. Ainsi, ne
s’établira non pas une communication unidirectionnelle auteur-lecteur, mais une
véritable communication, celle que nous appelons de notre vœu pour l'harmonie
sociale, la promotion des droits, des devoirs et des libertés.
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