vendredi 3 mars 2017

LA COMMUNICATION JUDICIAIRE: Comment la Justice communique avec les Justiciables?

La communication judiciaire:
Comment la Justice communique avec les justiciables?

La société actuelle manifeste un intérêt croissant par rapport aux questions de justice. Il s'observe une profonde méfiance vis-à-vis de l'institution judiciaire qui est de plus en plus remise en question par les personnes poursuivies, les victimes d'infractions, bref par les justiciables obligés de fréquenter les couloirs et les salles des tribunaux et des parquets. Son fonctionnement et ses décisions s'exposent aux critiques médiatiques et alimentent les discussions quotidiennes de l'opinion publique. Dans ce contexte social et politique ponctué par la défiance quasi générale envers l'appareil judiciaire, la question de la communication judiciaire se pose de manière pratique. Il apparait que l'institution judiciaire n'est pas comprise, peut-être en raison de la subtilité des suites procédurales et de l'interprétation technique des normes juridiques ; ni ne se fait pas comprendre non plus, peut- être en raison d'un défaut de communication : maladresse, inaptitude, négligence ou d'une application insuffisante des techniques et des principes régissant le dialogue de l'institution avec la population  en demande incessante  et pressante de garantie de ses prérogatives et de ses libertés.

La communication judiciaire: une nécessité 

La persistance de l'incompréhension des aspects fonctionnels de la Justice dans une société déjà fragilisée par la précarité des conditions de vie démontre la nécessité de penser ou repenser une forme de communication institutionnelle susceptible de projeter un éclairage sur les interventions de la police, les mesures décidées par les magistrats de l'ordre judiciaire. Cet article se veut une réponse à cette nécessité sociale. Au-delà de la gouvernance de la Justice qui constitue une problématique récurrente, la nécessité d'une communication judiciaire efficace s'impose au regard de tous les secteurs de l'organisation sociale. Les enjeux en sont énormes. Quand la police échoue dans sa communication avec la société, il s'ensuit des troubles, des agitations aux conséquences toujours désastreuses. L'échec de la communication institutionnelle provoque le désordre social en déclenchant d'importantes vagues d'indignation et des manifestations de violence populaire au dénouement sanglant, catastrophique. Par ailleurs, la communication institutionnelle efficace établit des rapports apaisés entre la société et les services publics et favorise un climat de progrès en recherchant l'adhésion de chacun. Quand les décisions de justice inspirent le doute, c'est qu'elles ne sont pas suffisamment explicitées au regard des circonstances des faits, des tentations politiciennes démagogiques et des pressions médiatiques.

Cet article correspond à la volonté de souligner l'importance de la communication judiciaire en vue de la consolidation du tissu social et de la croissance économique. Si l'efficacité de la justice détermine les conditions de progrès d'une société, les déficiences du système explique que le pays soit tenu aussi longtemps à l'écart du développement. Sortir de l'impasse de la précarité matérielle et des frustrations dues à l'insatisfaction des besoins élémentaires est un vœu formulé par l'ensemble de la population. L'une des étapes stratégiques pour y parvenir consiste en la capacité de l'institution judiciaire à « communiquer ».

Cet article sur la communication judiciaire s'adresse à tous les membres du corps social. Chacun peut y découvrir les règles de la communication judiciaire et apprécier désormais sans passion les activités matérielles des agents de la justice. Du coup, chacun peut entrer avec conviction et méthode dans le processus d'échange avec l'institution judiciaire en faisant valoir son droit à l'information, au respect de sa dignité, de sa pensée et de sa croyance.

La communication judiciaire : Acception générale

En matière de justice, la relation qui s'établit entre les justiciables adultes ou mineurs, la presse, les institutions privées ou publiques et les magistrats (siège, parquet) prend le nom de communication judiciaire. Le magistrat est un critère organique permettant une approche générale de la communication judiciaire. On dit toujours le tribunal est là où est le juge. Sa façon de communiquer avec son environnement renvoie une image de la justice. Le magistrat est l'organe de la communication judiciaire partout et dans toutes les circonstances où il peut être question d'intervention de la justice dans la vie sociale. Sous l'angle de cette conception organique,  la communication judiciaire englobe de manière générale les rapports que noue le magistrat en tant que représentant de l'institution judiciaire avec tous les gens qu'il est amené à fréquenter dans son cercle d'intimité et qui se font une idée de l'état de la justice à travers son attitude aussi bien qu'avec les gens impliqués dans une affaire spécifique en attente d'une réponse de la justice ou qui se trouvent amèrement remontés contre une décision de justice.

La communication judiciaire est indissociable de l'éthique à la base de la magistrature et les techniques afférentes intègrent pour une large part les règles déontologiques de la retenue, de l'objectivité et de la distanciation émotionnelle. Outre les rapports avec les justiciables, la communication judiciaire inclut les relations entre les magistrats eux - mêmes et avec le personnel des Cours et Tribunaux : huissiers, greffiers, secrétaires, commis-parquet, etc.

Communication judiciaire : Acception restreinte

Une approche plus restrictive ramène la communication judiciaire à l'application des règles et des techniques de la communication dans le traitement des affaires judiciaires. Cette approche repose sur le critère matériel de la technicité communicationnelle. Dans le dessein de faciliter la compréhension des enjeux procéduraux, le recours aux techniques de communication s'est révélé un moyen efficace. Et l'exploration de ces techniques a permis de dégager des règles spécifiques aux situations de communication judiciaire. Les juristes notamment les magistrats, sont conscients du rôle essentiel de la communication quant aux procès et aux questions que soulève le droit. L'explicitation des normes juridiques et des intérêts en litige dans le cadre des procès constituent des enjeux énormes pour la communication judiciaire. La crédibilité de la justice et du magistrat dépend de sa capacité à transmettre les informations juridiques, à élaborer un langage commun avec les justiciables, à exprimer objectivement une position ou une réaction de manière à montrer une gestion efficace du dossier. Sous cet angle purement technique, la communication judiciaire désigne l'ensemble des procédés oraux et écrits mis en œuvre par le magistrat pour construire et expliciter une réalité et légitimer une décision à l'égard des personnes parties au procès, des médias et de l'opinion publique. 

L'objet de la communication judiciaire consiste à construire et à expliciter une réalité. Il s'agit d'appliquer des règles et des techniques permettant la présentation des faits sans appréciation personnelle ni commentaire sur le fond. Il s'agit également de pouvoir expliquer les faits en tenant compte du contexte global des circonstances dans lesquelles ils se sont produits, c’est-à-dire de savoir privilégier les explications situationnelles plutôt que les explications dispositionnelles. Enfin, la communication judiciaire vise à légitimer une décision ou la position prise par la justice en collaborant avec les médias dont l'influence est considérable sur l'opinion publique de façon à éviter la diffusion d'informations inexactes, à clarifier les notions de droit méconnues par la majorité de la population. Ce travail auprès des médias et de l'opinion publique aide à soigner la réputation de l'institution judiciaire.  

La communication judiciaire : un nouveau métier

La communication judiciaire est aujourd'hui un nouveau métier. Elle répond à un besoin social d'accessibilité à la justice, vise l'amélioration des pratiques judiciaires et requiert l'acquisition de savoir-faire passant par la maîtrise des règles et des techniques présidant les relations entre le magistrat et les justiciables. 

Les exigences de la modernisation imposent à la justice de développer des moyens de communication efficaces dans le but de satisfaire les attentes légitimes de la population qui garde généralement d'elle l'image écorchée et corrompue que lui présentent les grandes lignes éditoriales des médias qui, en quête d'un auditoire plus large, exposent les affaires judiciaires sous une forme dramatique et sensationnelle et en les associant souvent à d'autres événements antérieurs où étaient constatés des dysfonctionnements de l'appareil judiciaire. Pour préserver la réputation d'une institution dont dépend l'ordre public, la communication judiciaire apparaît comme cette nouvelle spécialisation à laquelle doivent se former les juristes et les magistrats. Les professions judiciaires sont les plus dénigrées dans l'opinion publique. En se formant à la communication judiciaire, les magistrats se dotent d'instruments techniques leur permettant de répondre à la nécessité d'améliorer les structures judiciaires et de regagner la confiance de la population qui les définit comme des forces enracinées dans les pratiques de la corruption.

Le besoin de transparence et d'objectivité est fortement exprimé parmi les améliorations souhaitées par la société qui exige de comprendre la justice, de pouvoir "communiquer" avec elle. Le développement de la communication contribue à l'accessibilité de la justice et réduit l'insécurité juridique. C'est ainsi que la communication judiciaire participe à la modernisation du service public de justice.

La justice est aujourd'hui "communiquée", c'est-à-dire ses décisions font désormais l'objet de présentation et d'explication auprès du public. Ce qui doit se réaliser dans le respect des techniques communicationnelles. Le juge n'est plus tout uniment un professionnel isolé dans son bureau pour délibérer et décider. Ses décisions rendues au nom de la république l'exposent à des critiques et la société exige qu'elles soient traduites dans un langage accessible et qu'elles puissent s'expliquer à la lumière des valeurs et des normes fondamentales de la république. Pour une meilleure application des principes d'accessibilité et de publicité, le champ de la communication judiciaire s'ouvre comme un nouveau domaine à explorer par les juristes. 

Caractères de la communication judiciaire

La communication judiciaire est une forme de communication publique et institutionnelle.

A- Elle est une communication publique parce que :

· La justice est un service public ayant une mission d'intérêt général

· La publicité est un principe régissant son fonctionnement

· La communication judiciaire suppose la communication d'informations autour des missions et des attributions des différents organes du secteur de la justice. Elle vise à faire comprendre le sens leurs décisions et de leurs interventions auprès du public. Elle soutient le progrès des relations entre la société avec la justice. 

B- Elle est une communication institutionnelle parce que :

· La communication judiciaire tend à promouvoir les valeurs de la justice

· Elle concourt à soigner la réputation de l'institution judiciaire

· Elle améliore les relations entre la justice et le corps social, notamment avec la presse

La communication judiciaire est aujourd'hui un mécanisme indispensable au fonctionnement de la justice. La communication judiciaire trouve sa base légale et juridique dans le Code d'instruction criminelle, la loi sur l'organisation judiciaire et le statut des magistrats. 

L'intérêt pratique de la communication judiciaire

Les médias, notamment la télévision et la radio, exercent une pression importante sur les magistrats qui se sentent dans bien des cas incommodés par les questions des journalistes en quête d'informations. Cette situation parfois gênante ne peut être gérée que par des magistrats maîtrisant les techniques de la communication judiciaire. Face à des journalistes voulant satisfaire l'attente de l'opinion publique, il faut évidemment un certain art dans la prise de parole et dans le choix des mots pour ne pas se laisser emporter par le courant des influences politiques, des interprétations simplificatrices destinées à plaire à des catégories sociales spécifiques. L'intérêt de la communication judiciaire réside dans la possibilité qu'elle offre aux magistrats de rejoindre les propos médiatiques et ceux des personnes intéressées afin de les placer dans le contexte global des faits pour construire un sentiment de justice. 

La construction de ce sentiment de justice s'écarte des actions de communication de nature démagogique puisqu'elle doit se réaliser sans aucune manipulation dans le choix des informations judiciaires, sans accorder une dimension considérable aux circonstances aggravantes. Les magistrats sont de plus en plus confrontés à la tentation de démagogie judiciaire. Ils sont exposés aux influences électorales, politiques et commerciales. Comme ils sont appelés à faire régner un sentiment de justice en statuant sur une multitude de contentieux, ils doivent garder la conscience de la délicatesse et de la fragilité de leur position et savoir comment intervenir auprès des justiciables et de la presse pour ne pas éclabousser l'institution judiciaire ni salir leur image personnelle. Ainsi, la communication judiciaire trace la procédure à suivre au tribunal de l'opinion publique. Elle propose les règles de fond et de forme applicables avant, pendant et après un procès qu'il soit potentiellement médiatisé ou apparemment banal. La communication judiciaire se fonde sur le postulat de l'écoute de la société, de ses préoccupations, de ses questionnements et sur le rejet des goûts fantaisistes, des passions fanatiques, de l'emballement de l'opinion des membres de la société.

La justice est confrontée aujourd'hui à un énorme défi : regagner la confiance de la société. C'est dans cette perspective que se comprend l'importance de la communication judiciaire qui peut être résumée dans les points subséquents. 

L'intérêt pratique de la communication judiciaire se justifie du fait qu'elle permet :

v  De montrer un meilleur traitement des affaires judiciaires

v  D’établir une bonne relation avec la presse dans le souci de confirmer ou d'infirmer certaines informations. Cette relation améliorée avec la presse peut aussi permettre au parquet de réagir plus promptement face à certains faits dont les médias sont au courant avant les officiers de police judiciaire.

v  De montrer que le Ministère de la justice à travers le parquet veille au respect des droits et des libertés de chacun en prouvant que ce n'est pas la volonté répressive qui prime, mais la volonté de tenir un procès équitable.

v  De gérer efficacement les dossiers : tous les aspects sont analysés y compris les faiblesses de la procédure. Les comportements discutables de la justice sont commentés, par exemple la détention préventive prolongée.

v  D’apporter aux lecteurs, auditeurs et téléspectateurs des informations objectives.

v  D’exposer la thèse ou le point de vue du parquet ou du tribunal sur une affaire.

v  De faire un rappel à la loi en cas d'observation de certaines dérives : violation de la vie privée, de la présomption d'innocence, du droit d'un mineur victime ou délinquant.

v  De promouvoir les valeurs inhérentes à la justice : les droits de la défense, la loyauté des preuves, etc.

v  De souligner les progrès et les innovations au niveau de la juridiction et de ses activités.

v  De contribuer à l'amélioration de l'image de la justice. Une communication efficace dégage une bonne impression auprès de l'opinion publique.

Personnellement, j'attends que l'article soit commenté et que tout lecteur éventuel confronte leur expérience particulière aux règles et techniques présentées. Le retour de leur expérience et de leur commentaire m'aiderait à approfondir la question. Ainsi, ne s’établira non pas une communication unidirectionnelle auteur-lecteur, mais une véritable communication, celle que nous appelons de notre vœu pour l'harmonie sociale, la promotion des droits, des devoirs et des libertés. 


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Avocat et Magistrat de profession.