mardi 14 mars 2017

Faudrait-il des études pour faire de la politique en Haïti?

Faudrait-il des diplômes d’études supérieures 
pour faire de la politique en Haïti ? 

Au cours de ces dernières années, la dignité des fonctions politiques est de plus en plus discréditée en Haïti. L’éminence des postes correspond de moins en moins au profil des personnalités qui s’affrontent dans l’arène politique. Très peu de politiciens haïtiens sont armés d’une formation en rapport avec leur position. Les bévues, les maladresses, les incompétences de parlementaires et de ministres, voire la dérogeance et le manque de protocole au niveau de la présidence, interpellent l’ensemble de la communauté haïtienne.        

Le débat sur les qualités et les qualifications nécessaires à l’entrée sur la scène politique est soulevé avec une grande acuité. Certains rejoignent la logique adéquationniste qui requiert que l’occupation d’un poste implique les acquisitions cognitives appropriées. D’autres font remarquer que ceux qui réussissent leur vie aujourd’hui, et particulièrement dans le monde politique, sont des gens très peu diplômés ou des gens dont le CV est vierge de diplômes. Cette portion de la communauté partage la logique de l’entregent, de la débrouillardise et du savoir-faire qui prévaut dans les pays anglo-saxons où une plus large considération est accordée à l’expérience, à l’esprit d’initiative de la personne. Cependant, même dans ces pays, les années d’expérience et de succès professionnel ne se substituent pas à la valeur des diplômes d’études. Ceux qui souhaitent promouvoir leur carrière sont contraints d’entreprendre des études ou d’enchainer des formations diplômantes.    

Ainsi, la discussion demeure ouverte, à savoir si la politique exige des études spécifiques. Faut-il des diplômes d’études supérieures pour faire de la politique en Haïti ? Un plus grand nombre de « politiciens professionnels » serait-il un garant de bonne gouvernance en Haïti ?   

Je m’attache, à travers cet article, à analyser la valeur des diplômes d’études en ce qui a trait à l’exercice de la politique, leur insuffisance dans un contexte socio-économique pénétré par des facteurs d’inégalités, et à considérer ce qu’il faudrait pour améliorer la façon dont la politique s’exerce dans notre société.

La médiocrité des politiciens haïtiens fait détester la politique.  

Durant ces trente dernières années, les institutions politiques, investies du pouvoir d’organiser et de développer la société, ne sont guère parvenues à assumer leurs responsabilités à un moindre degré de satisfaction légitime. Les déficiences de l’Etat se sont accrues. La situation économique, environnementale, alimentaire, sécuritaire, sanitaire, éducative, de la population ne cesse de se détériorer. Ce constat incite la société haïtienne à détester la politique, à ne plus placer aucune confiance dans les institutions publiques. Beaucoup de gens ont fini par trouver la politique inutile. Face à tant de médiocrité, il est alors constaté l’échec cuisant des politiciens traditionnels.       

La société se prend à questionner la médiocrité et les imperfections des institutions politiques chargées de prévenir pour autant les malheurs qui s’appesantissent de jour en jour sur la population. Faut-il des politiciens professionnels pour assurer le fonctionnement des services ? Ou encore, faut-il tout simplement des hommes et des femmes de conviction pour amorcer le changement ?  

Force est de constater que c’est la défaillance d’engagement de la jeunesse qui a ouvert des opportunités favorables aux politiciens traditionnels. La génération actuelle, étant mieux formée qu’il y a trente ans, revendique sa participation dans la vie politique. De là, la question de savoir si des diplômes d’études supérieures ne devraient pas être davantage valorisés pour faire de la politique en Haïti. 

Des diplômes d’études supérieures comme clé d’entrée et de promotion dans la vie politique.

Dans la réalité de la vie, la valeur des diplômes d’études est incontestable. Les études déterminent les conditions de mobilité sociale. Aujourd’hui, tous les parents souhaitent que leurs enfants fassent des études avancées. Ils triment jusqu'à l’usure pour que leurs progénitures atteignent un niveau qu’ils n’ont pas pu. Le diplôme est vu comme un facteur d’ascension dans l’échelle sociale. Néanmoins, cette perception ne se traduit pas littéralement dans la vie politique.   

Comme je l’ai souligné dans l’introduction de cet article, beaucoup de gens sont convaincus qu’il faut une adéquation entre la formation et la fonction dans la sphère politique. Ceux-là posent l’injonction des connaissances qu’il faut à la place même où il les faut. Ils sont persuadés qu’une relation concordante entre la formation reçue et la fonction politique visée ou occupée constitue un gage d’efficacité. Dans cette catégorie de la société se range la nouvelle génération dotée de plus de diplômes professionnels et de plus de connaissances technologiques.
    
Sous cet angle, les diplômes d’études présentent une valeur prééminente. La formation se révèle un atout, une protection contre les risques inhérents à la vie politique. Pourvu des connaissances requises, l’on est mieux armé pour comprendre les enjeux et contourner les obstacles dans la pratique et la gestion du pouvoir. Les études apportent les compétences pour concevoir et assurer de nouveaux modes de développement, pour intensifier le rendement des services publics.

Face aux exigences de modernisation, le politicien doit posséder une certaine capacité d’écriture et d’éloquence, une certaine maitrise des nouvelles technologies, afin de pouvoir renforcer sa productivité et s’adapter aux changements. De ce fait, les études s’imposent comme une condition indispensable pour accomplir une carrière politique. Par ailleurs, certains estiment que la formation à la politique est une condition qui peut être avantageusement combattue au nom de l’égalité des chances et de la logique de l’entregent.       
   
L’insuffisance des diplômes quant à l’exercice de la politique

Dans le cadre de la société haïtienne, l’observation de gens ayant réussi leur vie, sans aucune formation particulière, dans divers domaines y compris la politique, permet de comprendre que l’éducation ou la formation est loin d’être la réponse à tous les problèmes. Pour cette fraction de la société, nul n’a besoin d’effectuer des études avancées pour faire de la politique. Sur la base de ce constat, les études ne constituent pas une garantie d’insertion et de promotion dans la vie politique. Il y a lieu de tenir compte de facteurs d’ordre économique, social et culturel qui relativisent considérablement la valeur des études quant à l’exercice de la politique.      

Du point de vue économique, dans une société minée par le chômage de masse, la tendance à faire des études est revue à la baisse. Les gens s’intéressent moins aux études, mais beaucoup plus aux opportunités dont ils peuvent bénéficier pour répondre aux besoins de leurs familles. La précarité des conditions économiques dans le pays explique pourquoi un nombre important de gens sans aucune qualification professionnelle s’engage dans la politique. Celle-ci est vue comme une fenêtre d’opportunités, et pour les économiquement faibles, et pour les économiquement forts. Les premiers sont motivés par le désir de changer leurs conditions de vie. Les derniers sont mûs par la volonté de consolider leur statut économique.    

En considérant certains aspects sociaux et culturels, des éléments de discrimination qui participent à relativiser davantage l’importance des études par rapport à la politique remontent à la surface. En Haïti, en politique, les chances ne sont pas égales entre les hommes et les femmes. Les mêmes inégalités traditionnelles peuvent être notées. Les études ne protègent pas les femmes ni contre le chômage ni contre la sous-valorisation dans l’arène politique. En outre, il faut souligner que le rang social, déterminé par la richesse, l’origine familiale, les relations sociales, le milieu de résidence, etc. joue un rôle plus important que les études dans la réalité politique. Celui qui peut mobiliser un réseau relationnel efficace occupe une position avantageuse par rapport à d’autres dotés de diplômes d’études supérieures.                   

Comment améliorer l’image de la politique en Haïti ?  

Il est vrai qu’au nom de l’égalité, tout le monde doit bénéficier des mêmes chances. En politique, l’exclusion pour des raisons de formation insuffisante serait mal malvenue. Toutefois, au regard de la situation actuelle du pays, il est important d’appuyer sur le fait que la politique ne peut être réduite à l’état d’une activité dérisoire pouvant être pratiquée par n’importe qui ; elle doit être exercée par des gens qui ont une claire vision de leur rôle, de la gouvernance et du fonctionnement des institutions publiques.

Comme je l’ai fait remarquer plus haut, la détention de diplômes d’études apporte une valeur ajoutée, mais elle n’est pas suffisante pour se faire remarquer en politique dans un pays comme Haïti. A mon humble avis, pour rénover l’image de la politique dans notre pays, il importe d’insister sur la réunion de certaines caractéristiques comme la conviction, l’adaptabilité, la force de caractère, l’aptitude concurrentielle chez les hommes et les femmes aspirant aux fonctions politiques.     

La conviction

La politique n’est pas un terrain de jeu ou un parc de divertissement, les acteurs doivent être animés par une conviction inébranlable dans le changement. Cette conviction peut être définie comme l’engagement conscient d’œuvrer à la reconstruction des structures et des valeurs responsables du bien-être de tous.

Ce sens d’engagement ne doit pas être superficiel, son fondement doit être recherché dans la prise de position constante par rapport aux problèmes affectant la vie collective. Le politicien doit travailler à la consolidation des idées qu’il croit capables de favoriser les changements. Les revirements de position intempestifs ou opportunistes observés chez bon nombre de politiciens haïtiens révèlent cette absence de conviction qui dégrade la pratique de la politique dans le pays. Le défaut de conviction n’affecte pas seulement la réputation du politicien, il se déteint également sur le reste de la société qui conçoit, du fait, la politique comme une activité malhonnête réservée à des opportunistes et à des hypocrites.   

L’adaptabilité     

La conviction est la qualité fondamentale que doit cultiver un politicien. Cette qualité doit être soutenue par la capacité à s’adapter. Cela suppose que même sans diplôme d’études, le politicien doit s’évertuer à développer une capacité d’adaptation, une capacité de communication. La survenance de questions délicates et de certains faits alarmants oblige des réponses de la part du politicien. C’est sa capacité à s’adapter et à communiquer qui pourra l’aider alors à verbaliser sa conviction politique. C’est une compétence qui peut être acquise à travers les études, mais également par la pratique.

Le politicien est exposé sous les feux de la rampe, ses gestes, sa physionomie, son comportement sont observés par la société. Il doit pouvoir dégager le sentiment qu’il maitrise les situations. Ce qui requiert qu’il soit en mesure de réagir avec habileté par rapport aux nouvelles sensibilités et aux mutations sociales.  

La force de caractère

La pratique de la politique exige une certaine allure ou force de caractère. Le politicien se doit d’être jaloux de son image. Pour cela, il doit développer une certaine moralité, afficher une apparence soigneuse et savoir faire preuve de fermeté. Ses idées et les luttes qu’il mène sont analysées à travers sa force de caractère. Des études juridiques, économiques, militaires, etc. contribuent à forger le caractère d’un politicien. Ce sont là des atouts qui rendent tout politicien redoutable. Toutefois, la force de caractère n’est pas seulement une question de formation. Elle est essentiellement une affaire de moralité.

En fait, même lorsqu’une personne impliquée dans la politique n’a pas eu l’occasion de suivre des formations en déontologie et éthique, elle est consciente des exigences morales en société. L’allure politique se fonde sur le respect de sa réputation, de son apparence et sur la rigueur à l’égard des tentations et des insultes. Le politicien doit savoir, par exemple, qu’il ne peut se présenter dans des accoutrements ridicules ou avec des chaussures non cirées ; qu’il ne doit pas flancher face aux critiques désobligeantes ni se rendre coupable de prévarication ou de toute autre forme de corruption.       

L’aptitude concurrentielle

La médiocrité qui entache l’exercice de la politique en Haïti découle dans une large mesure de la non valorisation de l’aptitude concurrentielle qui n’est autre chose que les compétences réelles. L’aptitude concurrentielle suppose que l’on possède réellement les compétences, c’est-à-dire qu’au-delà des formations spécifiques, on est vraiment porteur de savoir-faire. Il n’y a pas de fossé entre les connaissances et les diplômes d’études.

L’aptitude concurrentielle doit être encouragée, elle crée les conditions de lutte contre les discriminations. Elle permet d’éviter que les diplômes d’études ne soient pas retenus comme prétexte pour écarter d’autres personnes non diplômées qui pourtant par leur expérience possèdent les compétences réelles. En soutenant l’aptitude concurrentielle, toute personne se verrait valoriser sur leur capacité de réflexion, leur motivation profonde et leur savoir-faire.         

Au regard de la nouvelle génération, la pratique de la politique impose la nécessité de disposer de formations adéquates. La politique est un métier exigeant des connaissances spécifiques. Toutefois, la réalité des faits démontre que les diplômes d’études et les connaissances acquises à l’université sont insuffisants pour garantir l’insertion et la promotion dans la politique en Haïti. Les diplômes d’études ne forment pas un cadre protecteur contre les discriminations. Les positions demeurent alors mitigées. Seul le savoir-faire semble être reconnu comme indispensable. Il reste à savoir comment développer ce savoir-faire. L’éducation n’étant pas une solution miracle, on peut pas s’attendre à ce qu’elle permette de tout résoudre. Pour relever l’image de la politique dans ce pays, il faut promouvoir la conviction militante, la capacité d’adaptation, la force de caractère et l’aptitude concurrentielle. La réunion de ces qualités a permis à des hommes et des femmes politiques à travers le monde de se démarquer de la démagogie politicienne, qui tue lentement mais sûrement toute nation.  

Dans ce débat sur la valeur des études quant à la pratique de la politique, chacun est en droit d’avoir une vision particulière. Il serait intéressant de réagir par rapport à cet article pour enrichir la discussion.     

1 commentaire:

Unknown a dit…

Tres interessant ces articles la?

Avocat et Magistrat de profession.