Faudrait-il des diplômes d’études supérieures
pour faire
de la politique en Haïti ?
Au cours de ces dernières années, la
dignité des fonctions politiques est de plus en plus discréditée en Haïti.
L’éminence des postes correspond de moins en moins au profil des personnalités
qui s’affrontent dans l’arène politique. Très peu de politiciens haïtiens sont
armés d’une formation en rapport avec leur position. Les bévues, les
maladresses, les incompétences de parlementaires et de ministres, voire la
dérogeance et le manque de protocole au niveau de la présidence, interpellent
l’ensemble de la communauté haïtienne.
Le débat sur les
qualités et les qualifications nécessaires à l’entrée sur la scène politique
est soulevé avec une grande acuité. Certains rejoignent la logique
adéquationniste qui requiert que l’occupation d’un poste implique les
acquisitions cognitives appropriées. D’autres font remarquer que ceux qui
réussissent leur vie aujourd’hui, et particulièrement dans le monde politique,
sont des gens très peu diplômés ou des gens dont le CV est vierge de diplômes.
Cette portion de la communauté partage la logique de l’entregent, de la
débrouillardise et du savoir-faire qui prévaut dans les pays anglo-saxons où une
plus large considération est accordée à l’expérience, à l’esprit d’initiative
de la personne. Cependant, même dans ces pays, les années d’expérience et de
succès professionnel ne se substituent pas à la valeur des diplômes d’études.
Ceux qui souhaitent promouvoir leur carrière sont contraints d’entreprendre des
études ou d’enchainer des formations diplômantes.
Ainsi, la discussion demeure ouverte, à
savoir si la politique exige des études spécifiques. Faut-il des diplômes
d’études supérieures pour faire de la politique en Haïti ? Un plus grand
nombre de « politiciens professionnels » serait-il un garant de
bonne gouvernance en Haïti ?
Je m’attache,
à travers cet article, à analyser la valeur des diplômes d’études en ce qui a
trait à l’exercice de la politique, leur insuffisance dans un contexte
socio-économique pénétré par des facteurs d’inégalités, et à considérer ce
qu’il faudrait pour améliorer la façon dont la politique s’exerce dans notre
société.
La médiocrité des politiciens haïtiens fait
détester la politique.
Durant ces
trente dernières années, les institutions politiques, investies du pouvoir
d’organiser et de développer la société, ne sont guère parvenues à assumer
leurs responsabilités à un moindre degré de satisfaction légitime. Les déficiences
de l’Etat se sont accrues. La situation économique, environnementale,
alimentaire, sécuritaire, sanitaire, éducative, de la population ne cesse de se
détériorer. Ce constat incite la société haïtienne à détester la politique, à
ne plus placer aucune confiance dans les institutions publiques. Beaucoup de
gens ont fini par trouver la politique inutile. Face à tant de médiocrité, il
est alors constaté l’échec cuisant des politiciens traditionnels.
La société se
prend à questionner la médiocrité et les imperfections des institutions
politiques chargées de prévenir pour autant les malheurs qui s’appesantissent
de jour en jour sur la population. Faut-il des politiciens professionnels pour
assurer le fonctionnement des services ? Ou encore, faut-il tout
simplement des hommes et des femmes de conviction pour amorcer le
changement ?
Force est de
constater que c’est la défaillance d’engagement de la jeunesse qui a ouvert des
opportunités favorables aux politiciens traditionnels. La génération actuelle,
étant mieux formée qu’il y a trente ans, revendique sa participation dans la
vie politique. De là, la question de savoir si des diplômes d’études
supérieures ne devraient pas être davantage valorisés pour faire de la
politique en Haïti.
Des diplômes d’études supérieures comme clé d’entrée
et de promotion dans la vie politique.
Dans la réalité
de la vie, la valeur des diplômes d’études est incontestable. Les études
déterminent les conditions de mobilité sociale. Aujourd’hui, tous les parents
souhaitent que leurs enfants fassent des études avancées. Ils triment jusqu'à
l’usure pour que leurs progénitures atteignent un niveau qu’ils n’ont pas pu. Le
diplôme est vu comme un facteur d’ascension dans l’échelle sociale. Néanmoins,
cette perception ne se traduit pas littéralement dans la vie politique.
Comme je l’ai
souligné dans l’introduction de cet article, beaucoup de gens sont convaincus
qu’il faut une adéquation entre la formation et la fonction dans la sphère
politique. Ceux-là posent l’injonction des connaissances qu’il
faut à la place même où il les faut. Ils sont persuadés qu’une relation
concordante entre la formation reçue et la fonction politique visée ou occupée
constitue un gage d’efficacité. Dans cette catégorie de la société se range la
nouvelle génération dotée de plus de diplômes professionnels et de plus de
connaissances technologiques.
Sous cet
angle, les diplômes d’études présentent une valeur prééminente. La formation se
révèle un atout, une protection contre les risques inhérents à la vie
politique. Pourvu des connaissances requises, l’on est mieux armé pour
comprendre les enjeux et contourner les obstacles dans la pratique et la
gestion du pouvoir. Les études apportent les compétences pour concevoir et
assurer de nouveaux modes de développement, pour intensifier le rendement des
services publics.
Face aux
exigences de modernisation, le politicien doit posséder une certaine capacité
d’écriture et d’éloquence, une certaine maitrise des nouvelles technologies,
afin de pouvoir renforcer sa productivité et s’adapter aux changements. De ce
fait, les études s’imposent comme une condition indispensable pour accomplir
une carrière politique. Par ailleurs, certains estiment que la formation à la
politique est une condition qui peut être avantageusement combattue au nom de
l’égalité des chances et de la logique de l’entregent.
L’insuffisance des diplômes quant à l’exercice
de la politique
Dans le cadre
de la société haïtienne, l’observation de gens ayant réussi leur vie, sans aucune
formation particulière, dans divers domaines y compris la politique,
permet de comprendre que l’éducation ou la formation est loin d’être la réponse
à tous les problèmes. Pour cette fraction de la société, nul n’a besoin
d’effectuer des études avancées pour faire de la politique. Sur la base de ce constat, les études ne constituent pas une garantie
d’insertion et de promotion dans la vie politique. Il y a lieu de tenir compte
de facteurs d’ordre économique, social et culturel qui relativisent
considérablement la valeur des études quant à l’exercice de la politique.
Du point de
vue économique, dans une société minée par le chômage de masse, la tendance à
faire des études est revue à la baisse. Les gens s’intéressent moins aux études,
mais beaucoup plus aux opportunités dont ils peuvent bénéficier pour répondre
aux besoins de leurs familles. La précarité des conditions économiques dans le
pays explique pourquoi un nombre important de gens sans aucune qualification
professionnelle s’engage dans la politique. Celle-ci est vue comme une fenêtre
d’opportunités, et pour les économiquement faibles, et pour les économiquement
forts. Les premiers sont motivés par le désir de changer leurs conditions de
vie. Les derniers sont mûs par la volonté de consolider leur statut économique.
En
considérant certains aspects sociaux et culturels, des éléments de
discrimination qui participent à relativiser davantage l’importance des études
par rapport à la politique remontent à la surface. En Haïti, en politique, les
chances ne sont pas égales entre les hommes et les femmes. Les mêmes inégalités
traditionnelles peuvent être notées. Les études ne protègent pas les femmes ni
contre le chômage ni contre la sous-valorisation dans l’arène politique. En
outre, il faut souligner que le rang social, déterminé par la richesse,
l’origine familiale, les relations sociales, le milieu de résidence, etc. joue
un rôle plus important que les études dans la réalité politique. Celui qui peut
mobiliser un réseau relationnel efficace occupe une position avantageuse par
rapport à d’autres dotés de diplômes d’études supérieures.
Comment améliorer l’image de la politique en Haïti ?
Il est vrai qu’au nom
de l’égalité, tout le monde doit bénéficier des mêmes chances. En politique,
l’exclusion pour des raisons de formation insuffisante serait mal malvenue.
Toutefois, au regard de la situation actuelle du pays, il est important
d’appuyer sur le fait que la politique ne peut être réduite à l’état d’une activité
dérisoire pouvant être pratiquée par n’importe qui ; elle doit être exercée
par des gens qui ont une claire vision de leur rôle, de la gouvernance et du
fonctionnement des institutions publiques.
Comme je l’ai fait remarquer plus haut, la détention
de diplômes d’études apporte une valeur ajoutée, mais elle n’est pas suffisante
pour se faire remarquer en politique dans un pays comme Haïti. A mon humble
avis, pour rénover l’image de la politique dans notre pays, il importe
d’insister sur la réunion de certaines caractéristiques comme la conviction,
l’adaptabilité, la force de caractère, l’aptitude concurrentielle chez les
hommes et les femmes aspirant aux fonctions politiques.
La conviction
La politique n’est pas un terrain de jeu ou un parc de divertissement,
les acteurs doivent être animés par une conviction inébranlable dans le
changement. Cette conviction peut être définie comme l’engagement conscient
d’œuvrer à la reconstruction des structures et des valeurs responsables du
bien-être de tous.
Ce sens d’engagement ne doit pas être superficiel, son fondement doit
être recherché dans la prise de position constante par rapport aux problèmes
affectant la vie collective. Le politicien doit travailler à la consolidation
des idées qu’il croit capables de favoriser les changements. Les revirements de
position intempestifs ou opportunistes observés chez bon nombre de politiciens
haïtiens révèlent cette absence de conviction qui dégrade la pratique de la
politique dans le pays. Le défaut de conviction n’affecte pas seulement la
réputation du politicien, il se déteint également sur le reste de la société
qui conçoit, du fait, la politique comme une activité malhonnête réservée à des
opportunistes et à des hypocrites.
L’adaptabilité
La conviction est la qualité fondamentale que doit cultiver un politicien.
Cette qualité doit être soutenue par la capacité à s’adapter. Cela suppose que
même sans diplôme d’études, le politicien doit s’évertuer à développer une
capacité d’adaptation, une capacité de communication. La survenance de
questions délicates et de certains faits alarmants oblige des réponses de la
part du politicien. C’est sa capacité à s’adapter et à communiquer qui pourra l’aider
alors à verbaliser sa conviction politique. C’est une compétence qui peut être
acquise à travers les études, mais également par la pratique.
Le politicien est exposé sous les feux de la rampe, ses gestes, sa
physionomie, son comportement sont observés par la société. Il doit pouvoir
dégager le sentiment qu’il maitrise les situations. Ce qui requiert qu’il soit
en mesure de réagir avec habileté par rapport aux nouvelles sensibilités et aux
mutations sociales.
La force de
caractère
La pratique de la politique exige une certaine allure ou force de
caractère. Le politicien se doit d’être jaloux de son image. Pour cela, il doit
développer une certaine moralité, afficher une apparence soigneuse et savoir
faire preuve de fermeté. Ses idées et les luttes qu’il mène sont analysées à
travers sa force de caractère. Des études juridiques, économiques, militaires,
etc. contribuent à forger le caractère d’un politicien. Ce sont là des atouts
qui rendent tout politicien redoutable. Toutefois, la force de caractère n’est
pas seulement une question de formation. Elle est essentiellement une affaire
de moralité.
En fait, même lorsqu’une personne impliquée dans la politique n’a pas eu
l’occasion de suivre des formations en déontologie et éthique, elle est
consciente des exigences morales en société. L’allure politique se fonde sur le
respect de sa réputation, de son apparence et sur la rigueur à l’égard des
tentations et des insultes. Le politicien doit savoir, par exemple, qu’il ne
peut se présenter dans des accoutrements ridicules ou avec des chaussures non
cirées ; qu’il ne doit pas flancher face aux critiques désobligeantes ni
se rendre coupable de prévarication ou de toute autre forme de corruption.
L’aptitude concurrentielle
La médiocrité qui entache l’exercice de la politique en Haïti découle
dans une large mesure de la non valorisation de l’aptitude concurrentielle qui
n’est autre chose que les compétences réelles. L’aptitude concurrentielle
suppose que l’on possède réellement les compétences, c’est-à-dire qu’au-delà
des formations spécifiques, on est vraiment porteur de savoir-faire. Il n’y a
pas de fossé entre les connaissances et les diplômes d’études.
L’aptitude concurrentielle doit être encouragée, elle crée les conditions
de lutte contre les discriminations. Elle permet d’éviter que les diplômes
d’études ne soient pas retenus comme prétexte pour écarter d’autres personnes
non diplômées qui pourtant par leur expérience possèdent les compétences
réelles. En soutenant l’aptitude concurrentielle, toute personne se verrait valoriser
sur leur capacité de réflexion, leur motivation profonde et leur
savoir-faire.
Au regard de la nouvelle génération, la
pratique de la politique impose la nécessité de disposer de formations adéquates.
La politique est un métier exigeant des connaissances spécifiques. Toutefois,
la réalité des faits démontre que les diplômes d’études et les connaissances
acquises à l’université sont insuffisants pour garantir l’insertion et la
promotion dans la politique en Haïti. Les diplômes d’études ne forment pas un
cadre protecteur contre les discriminations. Les positions demeurent alors mitigées.
Seul le savoir-faire semble être reconnu comme indispensable. Il reste à savoir
comment développer ce savoir-faire. L’éducation n’étant pas une solution
miracle, on peut pas s’attendre à ce qu’elle permette de tout résoudre. Pour
relever l’image de la politique dans ce pays, il faut promouvoir la conviction
militante, la capacité d’adaptation, la force de caractère et l’aptitude
concurrentielle. La réunion de ces qualités a permis à des hommes et des femmes
politiques à travers le monde de se démarquer de la démagogie politicienne, qui tue lentement mais sûrement toute nation.
Dans ce débat sur la valeur des études
quant à la pratique de la politique, chacun est en droit d’avoir une vision particulière.
Il serait intéressant de réagir par rapport à cet article pour enrichir
la discussion.
1 commentaire:
Tres interessant ces articles la?
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