Comment comprendre la proposition
de loi sur la diffamation ?
de loi sur la diffamation ?
La
nouvelle proposition de loi relative à la diffamation vient d’être votée, le 14 mars 2017, par
le Sénat haïtien, puis est soumise à l'examen de la Chambre des Députés, avant d'être promulguée et entrée en vigueur par sa publication au journal
officiel de la République, le Moniteur. Le contexte socio-politique marqué par
la désuétude des Codes de lois, l’expansion des moyens de communication moderne
et surtout par la volonté de certains dirigeants de se dresser contre toute
forme de critique de leur mode de vie extravagant alimente un faisceau de
questions sur la finalité profonde de cette nouvelle proposition de loi.
Diversement
appréciée, cette proposition de loi est considérée tantôt comme un instrument destiné à renforcer
la protection de la vie privée et la lutte contre les abus d’expressions dans
la société, tantôt comme une volonté politique de bâillonner l’opinion
publique, de réprimer et de limiter la liberté de la presse. En quoi une nouvelle loi sur la diffamation serait un instrument juridique dangereux et arbitraire ? Quelles sont
les innovations apportées par cette proposition de loi ? Bref, comment comprendre
cette nouvelle proposition de loi sur la diffamation ?
A
travers cette analyse, je reviens sur la philosophie à la base de cette proposition de loi et
les régimes de responsabilités et de peines qu’elle prévoit afin de comprendre pourquoi elle suscite autant d'appréhensions et comment elle peut affecter la vie sociale par sa mise en application éventuelle.
Les visas et les considérants
sont vainement critiqués.
Cette
nouvelle proposition de loi soulève un vif débat, sur un fond de menace à la liberté d'expression, au sein de la société haïtienne. A la lecture de cette proposition de loi, on peut vite se rendre compte que toute cette inquiétude est vaine. La proposition de loi
n’introduit rien de nouveau en matière de diffamation. Elle ne fait que
rappeler certains principes et certaines valeurs juridiques longtemps consacrés dans le corps des normes à travers les pratiques et les décisions des tribunaux. Au delà de toute passion fanatique ou de prise de position émotionnelle, la lecture critique et technique de cette proposition de loi ne
justifie en aucune manière une volonté politique de bâillonner l’opinion
publique et de réprimer la liberté de la presse. De toute façon, les réactions contre cette proposition de loi sont louables, car des droits et des libertés qui ne sont pas farouchement défendus seront perdus. Ces réactions se manifestent sous forme d'opinions portant sur des aspects techniques négligés ou mal compris.
Les
visas sont sévèrement critiqués. Certains expriment que ces visas rappellent des lois prises durant les sombres périodes de contrôle excessif de la presse et de l'opinion publique. En fait, quelle est l’importance des visas dans un
texte de loi ? Ils servent tout simplement de référence. Ils rappellent
les normes de base en la matière. Ils permettent de comprendre que cette matière
a déjà été traitée et qu’il y a lieu d’apporter des modifications.
Les
visas doivent être rappelés en tête de toute loi. Ce qui ne signifie nullement
que la nouvelle loi est destinée à reproduire l’esprit des lois précédentes si
elles ne sont plus adaptées aux nouvelles réalités. Il ne s’agit que de référence
à la façon dont la matière a été abordée et rien de plus.
Les
considérants ont également fait l’objet de critiques acerbes. Pour beaucoup, les considerants dénotent une conception rétrograde de la liberté d'expression. Là encore, que
sont les considérants ? Ce sont des considérations philosophiques qui
forment la motivation des dispositions légales. Je me suis attardé sur les considérants
afin de comprendre la philosophie à la base de cette nouvelle proposition de loi.
La philosophie à la base
de la proposition de loi du 14 mars 2017
Les
différentes considérations retenues par le Législateur révèlent que cette
nouvelle proposition de loi repose sur une philosophie protectionnelle, réformiste et
moderniste. Ces considérations philosophiques s’accordent avec les dispositions
constitutionnelles pour délimiter l’étendue des droits, des devoirs et des
libertés. L’interprétation immodérée des libertés impose la nécessité de
refréner les débordements et les excès observés à plusieurs niveaux dans la
société. Cette proposition de loi tend à garantir cette protection.
Les
faits et les circonstances pouvant occasionner la diffamation ne sont pas
étrangers à la société haïtienne. Le Code Pénal prévoit et punit les propos
diffamatoires. Toutefois, au vu de l’évolution sociale, les dispositions
légales existantes présentent des lacunes qu’il importe de combler par des
modifications progressives. Cette nouvelle proposition de loi appelle à la réforme des règles
applicables en matière de diffamation.
Le
développement des techniques et de la technologie ouvre l’ère de la modernité.
L’informatique est devenue incontournable. La démocratisation du téléphone
portable offre la possibilité d’accès à internet à la population. La nouvelle proposition de loi repose sur une philosophie moderniste en encadrant, dans une certaine
mesure, la communication par voie électronique.
Les
considérations articulées par le Législateur laissent comprendre que cette
nouvelle proposition de loi sur la diffamation vise la protection de l’honneur, de la
réputation, de la vie privée contre les dérives, les abus ou excès auxquels
certains membres de la société peuvent se livrer.
La complicité de
diffamation : une infraction autonome
Les
éléments constitutifs de la diffamation demeurent inchangés au regard de la
nouvelle proposition de loi. Le Législateur n’a pas modifié la nature de l’infraction qui
consiste en l’imputation à une personne physique ou morale de faits
susceptibles de porter atteinte à son honneur, à sa considération, à son
intégrité. Toutefois, la proposition de loi permet de distinguer la complicité comme une
infraction autonome. Le Législateur retient l’existence d’une complicité
punissable sur la base de la simple existence de propos diffamatoires. Les
actes matériels de complicité (aide – assistance – etc.) sont réprimés de façon
indépendante dès lors qu’il peut être établi le caractère diffamatoire des
actes ou propos.
Pour
mieux comprendre, imaginons le scenario suivant. Une personne a réalisé et
publié une caricature dégradante et grossissante des « mauvaises
mœurs » d’un individu. Une autre personne, sans se soucier de l’impact que
peut avoir cette caricature, a décidé de la faire circuler. Cette dernière peut
être poursuivie pour délit de diffamation, lors même qu’elle n’est pas l’auteur
de l’acte. Sur la base de cette nouvelle proposition de loi, le fait d’avoir « fait
circuler » la caricature humiliante constitue un acte de de complicité
pouvant être sanctionné de façon indépendante. Du point de vue juridique, ce n'est pas nouveau, car la reproduction de tout acte diffamatoire constitue une nouvelle diffamation.
Les formes de
diffamation
Cette
législation proposée permet de différencier cinq principales formes de diffamation :
A-
La diffamation par acte authentique ou public (diffamation publique)
B-
La diffamation par voie de presse nationale ou étrangère
C-
La diffamation par voie électronique
D-
La diffamation discriminatoire (diffamation raciale, sexuelle, religieuse, etc.)
E-
La diffamation contre la mémoire des morts
Je
dois dire que ce n’est pas une innovation juridique. Ces formes de
diffamation ont été longtemps reconnues dans l’analyse des circonstances
susceptibles d’occasionner la diffamation. Imaginons le cas où une personne
dont la mère est décédée a fait l’objet de ces propos en public : « Se
pitit yon bouzen ou ye, ou pa t’ap ka aji lot jan… » (Tu es un fils de
pute, tu n’aurais pas agi autrement…). L’atteinte est directement orientée
contre la considération de la personne décédée, mais elle a la portée de nuire à
l’honneur de l’enfant. Il est constant que l’auteur de tels propos puissent être
réprimés sur la base des faits de diffamation contre la mémoire des morts.
Le régime des preuves :
la loyauté probatoire peut être remise en question.
Il
faut envisager le régime des preuves à un double point de vue : celui de
la personne poursuivie et celui de la personne victime. Le Législateur
reconnait que tous les modes de preuve sont recevables. En principe, les actes
diffamatoires peuvent être prouvés par tous les moyens. En matière de crime et
de délit, le système de preuve est libre. Cela veut dire que les faits peuvent être démontrés
par tous les modes de preuve.
Du
point de vue de la personne victime, la preuve consiste à rapporter les actes
matériels de publicité : photo, affiche, image, enregistrement, capture
d’écran, vidéo, etc. Pas de diffamation sans publicité : c’est un principe
constant.
Le
problème c’est que les nouveaux moyens de preuves ne sont pas fiables. Avec le
progrès technique et scientifique, il est possible de reproduire fidèlement les
photos, vidéos, enregistrements, etc. et même de les attribuer à d’autres
personnes à leur insu. Le principe de loyauté de la preuve peut être bafoué.
Du
point de vue de la personne poursuivie, la preuve consiste à rapporter la
vérité des faits imputés. C’est le principe d’exception de vérité. La personne
poursuivie doit démontrer que ses allégations sont fondées sur des faits
réels.
En
matière de diffamation discriminatoire, notamment diffamation raciale et
atteinte à la vie privée (diffamation sur la base d’orientation sexuelle, etc.),
l’exception de vérité n’est pas recevable. Pourquoi ? Parce que cela va requérir
que les choix privés de la personne deviennent publics. Or, la loi est tenue de
protéger la vie privée.
Pour
comprendre, considérons le cas où une personne se voit traiter de « masisi
sal » (sale pédé) en public. L’exception de vérité ne peut être admise car
cela exigerait que la vérité sur ses pratiques sexuelles soit portée à la
connaissance du public. Ce qui relève strictement de la vie privée doit
demeurer protégé.
Il
faut rappeler qu’en matière de diffamation, l’intention de nuire a toujours été
présumée. Il revient à la personne poursuivie d’établir la preuve de sa bonne
foi pour se libérer des responsabilités pénales encourues.
Je
voudrais attirer l’attention sur le fait que le Législateur introduit le
principe que la charge probatoire tombe si les faits remontent à plus de trois
ans. La personne poursuivie ne peut être appelée à prouver des faits vieux de
plus de trois ans. L’appréciation des preuves relève de la compétence des
tribunaux au cas par cas.
Le droit de réponse
Toute
personne victime d’actes ou de propos diffamatoires dispose du droit de réponse.
Ce droit ne peut lui être refusé en aucune manière. La victime a le droit de dénoncer
tout ce qu’elle considère comme une atteinte à son intégrité, à sa considération,
à sa réputation, etc. Ce droit de réponse peut s’exercer au moyen d’une lettre
responsive ou d’une action en justice.
La
loi permet à la victime de porter plainte avec constitution de partie civile auprès
du Parquet ou du cabinet d’Instruction. La victime doit savoir qu’en matière de
diffamation, la procédure est expéditive. C’est-à-dire elle fait intervenir des
délais d’action et de prescription plus courts. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit
d’atteinte à la considération d’une personne et qu’il y a nécessité de la faire
cesser le plus vite que possible de façon à limiter les éventuelles conséquences.
La proposition de loi du 14 mars 2017 ne fait pas exception à ce principe de célérité.
Je
me garde à travers cette analyse de détailler la procédure à suivre. Cet article
ne dispense pas de louer les services d’un avocat pour préparer une défense inébranlable
au cas vous seriez victime de propos ou d’actes diffamatoires.
Le régime des peines
La
nouvelle proposition de loi sur la diffamation ne fait que renforcer le régime des peines afin
d’établir des sanctions adaptées, notamment les sanctions pécuniaires. Les
peines prévues par cette nouvelle loi ne sont pas différentes de celles que le Législateur
savait retenir au préalable en la matière. Au regard de cette nouvelle législation en gestation,
les peines qu’un auteur de diffamation peut écoper sont :
A-
Des peines d’emprisonnement associées à la nature des faits imputés
B-
La non jouissance de bonnes vies et mœurs
C-
L’interdiction de s’exprimer par voie de presse pendant un temps déterminé
D-
La condamnation à des travaux d’intérêt général
E-
La condamnation à des dommages et intérêts
Responsabilité de la
presse et des services de communication
La
presse et les services de communication ont l’obligation de vérifier la fiabilité
de leur source d’information. Le droit à l’information a toujours été problématique
en Haïti. C’est une tâche difficile d’avoir accès à l’information dans ce pays
quasiment paralysé par des carences infrastructurelles. Toutefois, ces déficiences
n’autorisent pas la presse et les services de communication à ne pas analyser
la crédibilité des informations qu’ils font circuler. La nouvelle proposition de loi garantit
le droit à l’information, mais dans la pratique, les mêmes problèmes persistent.
A titre d’illustration, jusqu'à présent, le pays ne possède pas un site
officiel où tout citoyen peut consulter les documents réputés publics (lois, décrets,
règlements, registres d’état civil, registre cadastral, etc.).
La
nouvelle proposition législative encourage le système d’investigation journalistique; toutefois, elle ne prend pas suffisamment en compte l'inexistence des structures nécessaires à la
quête et à la collecte des informations. C’est peut-être en ce sens qu’elle
inspire autant de crainte. Face aux difficultés d'accès à l'information pour des raisons de défaillances infrastructurelles, la presse
et les services de communication expriment leur crainte de voir cet instrument
juridique se dresser comme un instrument de pression contre la liberté d’expression.
J’ai
pu noter l’absence de toute volonté politique de museler la presse et les
services de communication. La nouvelle proposition de loi prévoit qu’ils peuvent être exonérés de toute
responsabilité en la matière, dans la mesure où ils parviennent à démontrer leur
méconnaissance du caractère illicite des faits ou des circonstances, en peu de
mots à faire valoir leur bonne foi. A ce niveau, je dois souligner que ce sont
les tribunaux qui sont appelés à apprécier les circonstances afin de déterminer
la légitimité de l’attitude de la presse et des services de communication.
La
presse et les services de communication se trouvent libérer de toute responsabilité
dès lors qu’ils agissent avec promptitude pour bloquer ou supprimer les données
susceptibles de présenter un caractère diffamatoire. Et, si dans la foulée, ils
arrivent à découvrir les faits réels, il leur incombe le devoir de dessiller
les yeux de la population.
En
fin de compte, cette nouvelle proposition de loi sur la diffamation est loin de constituer une
menace à la liberté d’opinion et d’expression. Elle est appelée à consolider l’arsenal
juridique en renforcant des principes déjà consacrés à travers les conventions
internationales et la Constitution qui tendent à assurer le respect et la
protection de toute personne, indépendamment de leur origine, sexe, religion,
statut économique, rang social, etc. Cependant, avec les avancées techniques et
scientifiques, la loyauté des preuves en matière de diffamation peut être discutée
et constitue une problématique à étudier en profondeur. Sinon quiconque peut
se voir poursuivi pour des faits de diffamation parce que son e-mail ou autres
comptes électroniques ont été piratés pour servir de plateforme de divulgation d’allégations
potentiellement diffamatoires. Ce nouveau débat doit conduire à la mise en
place progressive des infrastructures capables de garantir le droit à l’information
afin que tout qui est de l’ordre public se fasse dans la transparence. Parce
que la transparence, tant dans la vie de l’Etat que dans celle de tout citoyen,
est une condition essentielle au progrès intégral.
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