lundi 6 mars 2017

Comment combler le vide juridique autour de la protection de la vie privée en Haïti?

Comment combler le vide juridique autour de la protection de la vie privée en Haïti ?

Les récentes technologies ont révolutionné le mode de vie des sociétés. L’expansion de l’informatique a transformé non seulement les pratiques commerciales mais aussi et surtout les rapports sociaux. Si le numérique est incontournablement un vecteur de progrès, il ne va pas pour autant sans compromettre certaines libertés et certains droits qui définissent les limites de la vie privée.
  
Les innovations technologiques ont créé un environnement où le respect de la vie privée est de plus en plus menacé. Il n’est pas rare aujourd’hui de voir circuler sur les réseaux sociaux des photos, des vidéos qui dénotent un mépris de l’intimité des personnes. Certains s’en trouvent choqués et questionnent l’usage de l’internet et des réseaux sociaux, d’autres n’en ont pas du tout conscience qu’il s’agit bien d’intrusions répréhensibles dans la vie privée d’autrui.

L’étendue de la vie privée

La vie privée est une notion juridique. Elle est rattachée à la personnalité juridique d’une personne physique. C’est en effet une notion très large incluant tout ce qui peut être retenu comme des attributs de la personnalité. En opposition à la vie publique, la vie privée reflète l’ensemble des intérêts personnels pouvant englober la protection de l’intimité, de la dignité, de la réputation, de l’honneur, de la croyance, etc. La vie privée est donc cet espace où l’on n’est pas exposé à la critique des autres, où l'on se referme sur soi-même. Le droit à la vie privée implique alors le respect de la personne et de sa dignité jusque dans la mort. Seul le consentement de la personne ou des exceptions expressément prévues par la loi sont susceptibles d’autoriser des incursions d’autrui dans les sphères privées.    

La notion de vie privée est sujette à une perception particulière aux Etats-Unis. Dans ce pays réputé de « société de surveillance », la vie privée, pour des raisons de sécurité, est soumise à la surveillance électronique des individus par des banques de données. Ce qui permet à des particuliers ou à des entreprises d’utiliser à des fins commerciales des informations à caractère personnel. Du fait du croisement des données personnelles, le débat sur le respect de la vie privée aux Etats-Unis reste ouvert et houleux.  

En France aussi bien qu’en Haïti qui hérite son système juridique de la France, la perception de la vie privée est telle que toutes les données à caractère personnel sont inviolables hormis dans les cas déterminés par la loi. Il est, en effet, interdit de s’immiscer dans l’espace privé d’une personne sans son consentement au risque d’être poursuivi et condamné pour violation de la vie privée. Toutefois, ces dernières années, en Haïti, l’explosion des réseaux sociaux bouscule le respect de l’intégrité physique et morale des individus.   

Eléments constitutifs de la vie privée

Comme je l’ai souligné plus haut, la vie privée n’est pas une notion juridique circonscrite dans une réalité figée et immuable. Elle se réfère aux données déterminant l’état des personnes. Ces données, étant soumises à la dynamique sociale, changent et évoluent. Du fait, la vie privée ne peut être confinée à une définition simpliste et limitative.

La vie privée fait donc l’objet d’interprétations rationnelles circonstanciées où sont pris en compte la protection et le respect :
·  Du corps de la personne
·   De l’orientation sexuelle de l’individu
·   De la vie sentimentale
·   De la réputation et de l’honneur,
·   De l’image
·   Du domicile ou de la résidence
·   Du secret de l’état de santé
·   Du secret de la correspondance
·   Des interactions sociales
·   De l’opinion et de la croyance

Cadre légal de la protection de la vie privée  

Related imageLa vie privée est encadrée par des normes conventionnelles ainsi que des dispositions constitutionnelles et légales. Le droit à la vie privée fait partie des libertés et des droits humains consacrés par les conventions internationales. Haïti figure au nombre des Etats ayant adopté la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme en 1948. Aux termes de cette Convention, il est établi que toute personne a droit à la protection de la vie privée et ne peut en aucune manière être l’objet d’actes arbitraires portant atteinte à son domicile, à sa famille, à son honneur et à sa réputation. Sur cette base, le droit à la vie privée acquiert une valeur universelle.

Cette valeur est renforcée par la Résolution de Madrid sur la protection de la vie privée en 2009. Cette Résolution pose les principes devant garantir la protection des données personnelles sur internet. Cet instrument juridique international est d’une portée significative mais n’a aucune force juridique contraignante.

En Haïti, la Constitution, dans son préambule, reconnait les libertés et les droits promus par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. Il s’ensuit que le droit à la vie privée est donc un droit constitutionnel. Sa violation est exposée aux sanctions pénales définies par les lois en vigueur. Le Code Pénal haïtien punit l’usurpation, la diffamation, la révélation de secrets, la profanation de cadavre ainsi que tout abus d’expression. Les dispositions du Code Pénal garantissent en outre l’inviolabilité du domicile et du secret de la correspondance, sauf dans les circonstances décrites par la loi.

Le Code Civil haïtien, sans toutefois proposer une définition de la vie privée, traite des attributs de la personnalité juridique. Il s’ensuit que toute personne, dans les limites de la loi, doit pouvoir jouir des droits qui lui sont reconnus et bénéficier de la protection de ses prérogatives et de ses intérêts. En consacrant la reconnaissance des droits de la personne, le Code Civil haïtien fonde le principe de protection de la vie privée.

Les normes juridiques existantes offrent des garanties de protection, mais aujourd’hui au gré du développement des nouvelles techniques de l’information, elles laissent un vide juridique devant être comblé afin de freiner les dérives de l’internet et des réseaux sociaux au sein de la société haïtienne.

La non réglementation de l’environnement numérique et informatique en Haïti 

La société actuelle ne peut nullement se passer de l’informatique. Les avancées techniques et technologiques favorisent à la fois la croissance économique et l’épanouissement individuel. En dépit du fait qu’Haïti est un pays qui souffre de déficiences infrastructurelles (problème d'électricité, coûts non négligeables des ordinateurs et des appareils informatiques, taux élevé d’analphabétisme, coûts élevés d’accès aux réseaux téléphoniques, etc.) ; l’internet et les réseaux sociaux se sont révélés des facteurs de transformation de la vie sociale et des vecteurs de grandes opportunités économiques. L’émergence de ces facteurs a créé un vaste champ de libertés non règlementées. Certains pays ont eu la conscience de se doter de législations protectrices à l’égard de l’expansion considérable du numérique et de l’informatique. Dans le cas d’Haïti, il y a bien du chemin à parcourir. L’avènement de l’informatique impose la nécessité d’une règlementation qui tarde à se matérialiser.

Aujourd’hui, plus de 55% de la population urbaine ont accès à l’internet en Haïti. Alors que la généralisation de l’informatique progresse, l’environnement numérique est très peu règlementé, l’absence d’une politique nationale de l’Informatique et du Numérique est toujours à déplorer. Ce vaste espace de liberté met en péril certaines valeurs et certains droits. La non réglementation accorde toujours de grande liberté. Tout ce qui n’est pas défendu est permis. La seule tentative de règlementer le domaine informatique en Haïti peut être relevée à travers les dispositions de la loi sur le Blanchiment d’argent en ce qui concerne les techniques d’investigation. Cette loi permet au juge instructeur d’avoir accès aux systèmes informatiques, aux réseaux sociaux et aux lignes téléphoniques pour rechercher toute éventuelle preuve de blanchiment d’argent. Le fait par le législateur de reconnaitre que ces systèmes sont susceptibles de révéler des preuves d’infractions justifie davantage la nécessité de réglementer l’environnement numérique et informatique en Haïti.

L’absence de loi portant sur le traitement automatisé des données personnelles en Haïti laisse le champ libre à diverses atteintes aux biens et aux droits des personnes. Comment sévir contre la cybercriminalité en l’absence de normes juridiques applicables ? Comment réprimer le piratage informatique, le vol informatique, les abus d’expression sur les réseaux sociaux dans le silence de la loi ?  
     
Le Conseil National des Télécommunications (CONATEL), l’Observatoire sur la Pénétration des Technologies de l’Information et de la Communication en Haïti (OPTICH), le projet d’Accompagnement d’Haïti dans la Société de l’Information (AHSI) du PNUD et toutes les autres structures dans le secteur de la communication doivent pencher sur la question et mobiliser les ressources dont dispose le pays pour parvenir à créer un environnement informatique et numérique propice au respect des valeurs morales, à la protection de l’intimité, à la promotion de la justice dans le pays.

Ce n’est qu’à ce prix que la vie privée sera protégée contre les dérives des réseaux sociaux dans le pays. 

Bienfaits et méfaits des réseaux sociaux

A partir de 2004, les réseaux sociaux ont explosé. Facebook, Twitter, My Space, vont être rejoints plus tard par Skype, WhatsApp et autres pour faciliter la communication à travers le monde entier. Un progrès indéniable. L’expression « réseaux sociaux » initialement retrouvée dans les travaux scientifiques de John A. Barnes tombe dans le langage populaire. Des millions de personnes s’inscrivent sur les réseaux dans le monde entier. Haïti n’en est pas en reste malgré toutes les carences infrastructurelles.

Les réseaux sociaux témoignent de progrès énormes dans la vie des sociétés. Les bénéfices qu’ils apportent sont significatifs à plusieurs égards. Il faut l’avouer, les avantages des réseaux sociaux sont multiples :
·  Les réseaux sociaux facilitent les interactions sociales
·   Ils permettent de créer des liens avec des personnes en dehors de son cercle de vie
·   Ils favorisent la circulation des idées à travers des posts, des forums, des commentaires, etc.
·   Ils encouragent la promotion des entreprises
·   Ils facilitent les échanges commerciaux
·   Ils aident à une meilleure compréhension des évènements    

Les avantages, qui se manifestent à plusieurs niveaux grâce aux accès aux réseaux sociaux, sont liés à la capacité de l’individu à se servir de l’internet à bon escient, à reconnaitre que la liberté d’expression et d’opinion est limitée par le respect de la vie privée. Et, comme en Haïti, les réseaux sociaux sont des plateformes vides de toute réglementation, il y est observé que les atteintes à la vie privée sont monnaie courante.  

Ainsi, l’usage incontrôlé et non règlementé de l’internet et des réseaux sociaux entraine une jouissance excessive ou abusive de ces innovations technologiques. La jouissance est excessive quand l’individu sacrifie lui-même sa vie privée sans se douter des conséquences. La diffusion d’informations personnelles, d’images intimes, d’images familiales, d’opinions outrageantes et discriminatoires illustrent comment les gens sacrifient eux-mêmes leur vie privée. Cette jouissance excessive peut occasionner des pertes d’avantages, notamment sur le plan professionnel. Il n’est pas improbable qu’un patron consulte les réseaux sociaux pour se faire une idée de la moralité et de l’opinion d’un candidat, ou du comportement social d’un employé.      

D’autre part, la jouissance de l’internet et des réseaux sociaux s'avère abusive quand l’individu en développe une addiction ou outrepasse les bornes du respect de la vie privée. Une personne addicte aux réseaux sociaux compromet sa productivité académique ou professionnelle et même l'organisation de son foyer dans certains cas. En consacrant trop de temps sur les réseaux sociaux, elle néglige sa famille, ses activités principales et devient de moins en moins concentrée sur celles-ci. La jouissance est d’autant plus abusive quand elle marque une intrusion dans la vie d’autrui. En se servant de l’internet pour usurper l’identité d’une personne, on s’expose à des sanctions pénales. Il est à déplorer que l’outrage des cadavres, les violences verbales sur internet et les réseaux sociaux qui ont des impacts néfastes sur la vie des gens ne soient pas pénalement réprimés en Haïti. Il est temps qu’intervienne une loi incriminant le cyber bizutage et la délinquance virtuelle dans le pays.

Comment préserver son intimité sur les réseaux sociaux ?

Pour finir, je me permets de rappeler quelques conseils pour préserver son intimité sur les réseaux sociaux :
·  Vérifier le profil de la personne avant de l’accepter sur votre page ; c’est ce qu’on appelle se protéger contre les envahisseurs.
· Avoir un compte ouvert sous un pseudonyme qui vous permettra d’établir des relations en dehors de votre cercle de connaissances.
· Avoir un compte fermé où vous êtes en contact avec les personnes que vous connaissez réellement dans la vie.
·  Définir des paramètres de confidentialité en limitant ce que les autres peuvent voir sur vous.
· Faire attention à ce que vous publiez (vos publications pourront être retenues contre vous devant la Justice).
·  Eviter de publier des photos ou vidéos intimes.
·  Eviter de publier les photos ou vidéos des cadavres.

Il faut toujours garder à l’esprit que les traces virtuelles ne disparaissent jamais. On peut supprimer un compte, mais on ne peut pas l’effacer définitivement, à tout jamais. La principale règle de conduite sur internet et les réseaux sociaux est celle de la prudence ou de la retenue.

Dans les circonstances où une personne se trouve lésée dans son intégrité morale sur internet ou les réseaux sociaux, elle a la latitude d’agir pour faire respecter son droit à l’intimité de la vie privée. Elle peut s’adresser à l’Office de Protection du Citoyen (OPC) dont l’une des missions est de veiller au respect des libertés et des droits humains. Dans sa bonne volonté, l’OPC pourra dénoncer auprès des autorités judiciaires cette violation des droits humains. D’autre part, cette personne peut intenter une action en dommages et intérêts contre tout individu ayant porté atteinte à sa vie privée en établissant les circonstances et les preuves.  

3 commentaires:

Unknown a dit…

Voila quelqu'un, au moins, qui se preoccupe de l'un des problemes majeurs et chroniques de Notre societe actuelle. Sauf que, le parlement haitien vient de voter une loi portant sur la reconnaissance legale de la signature electronique. Mais comme tu viens de le dire il en reste bcp a faire.

Felicitation!

Unknown a dit…

Voila quelqu'un, au moins, qui se preoccupe de l'un des problemes majeurs et chroniques de Notre societe actuelle. Sauf que, le parlement haitien vient de voter une loi portant sur la reconnaissance legale de la signature electronique. Mais comme tu viens de le dire il en reste bcp a faire.

Felicitation!

Jasmin Du Bellay a dit…

Merci de partager cette information. Je vais rechercher ce nouveau texte de loi.

Avocat et Magistrat de profession.