dimanche 19 mars 2017

Affaire Guy Philippe : Quel est l’intérêt juridique de la résolution du Sénat?

Affaire Guy Philippe :
Quel est l’intérêt juridique de la résolution parlementaire ?

La controverse autour de l'arrestation et le transfert aux Etats-Unis de Guy Philippe, figure d'avant-garde de la sédition armée de 2004, et Sénateur fraichement élu de la Grande-Anse, continue de s'enfler. Ces faits ont agité l'opinion publique tant sur le plan national qu'international. La divergence d'opinions sur la légalité de la procédure ainsi que les motivations politiques profondes de chacun ont provoqué des échanges tumultueux et des remous fracassants dans les médias. En écho aux turbulences des médias et de l'opinion publique, le Sénat de la République vote, le 14 mars 2017, à l'unanimité, sur fond d'émotion patriotique pour certains, et personnelle pour d'autres, une résolution condamnant les faits. 

Cette intervention parlementaire attise la controverse qui s'était déjà corsée par le déroulement du procès de Guy Philippe devant un tribunal fédéral américain en Floride. Comment comprendre la réaction parlementaire ? Quelle est la portée de cette intervention ? Au-delà de l'interrogation que soulève l'influence que peut exercer le Parlement dans cette affaire, il faut se demander : « Quel est l'intérêt juridique de la résolution parlementaire ? » En termes simples, quel est l’avantage pour le Senat de voter cette résolution ?

En fait, il ne faut pas confondre force juridique et intérêt juridique. Cet article tend à questionner, non pas la force juridique limitée de la résolution, mais les enjeux entourant son adoption. Il s'agit de comprendre l’intérêt juridique, c’est-à-dire les potentiels avantages de la résolution, et à quoi elle peut virtuellement aboutir sur le plan des rapports avec l'Exécutif dans le pays.

La protection des prérogatives parlementaires.  

La réaction parlementaire charrie à la fois les émotions et les motivations vers l’identification de facteurs et d’acteurs responsables des atteintes aux prérogatives parlementaires. La résolution du Sénat introduit de nouveaux éléments dans le débat : l’espoir, la tergiversation et surtout la contestation de la notion de compétence telle que perçue au regard des faits. Pour les supporteurs du Sénateur, il s'agit de l'espoir. Pour les adversaires, ce ne sont que des gymnastiques, des actes futiles. Au-delà de l’antagonisme politique et idéologique, le rebondissement du débat ouvre les perspectives de l'intérêt juridique de la résolution qui s'étend aux avantages et aux besoins du Parlement de combattre les menaces à son inviolabilité et à son immunité que pose une application abusive des normes de droit international dont la supériorité normative ne peut jamais être prévalue aux dépens du droit national. La résolution du Sénat exprime cette nécessité de protection des prérogatives parlementaires et cette démarche de contestation d’une extension abusive de compétence extraterritoriale exercée par les autorités américaines.  

La sauvegarde des privilèges garantis aux membres des Assemblées Législatives constitue le fondement de la résolution du 14 mars qu’il faut se garder d’interpréter comme un simple avis ou une simple déclaration de principe. La portée de cette résolution va plus loin. Elle formule le refus de voir l’affaire Guy Philippe s’ériger en un antécédent défavorable au corps législatif et du coup la volonté de préserver les Parlementaires contre les manœuvres politiques internes et les jeux d’intelligence externes susceptibles de leur causer des humiliations.

Le vote unanime de cette résolution annonce la détermination d’engager des épreuves de force avec l’Exécutif quand il s’agit du respect des prérogatives parlementaires. La multiplication de motions d’opposition pourrait venir compromettre le fonctionnement de l’appareil étatique dans les prochaines années en absence de compromis sur ce dossier. Car, les personnalités parlementaires en affichant leur position s’attendent à la collaboration de l’Exécutif, notamment pour épauler les efforts de la diplomatie parlementaire.

Car, cette résolution, intervenue dans un contexte particulier des rapports avec les Etats-Unis, soulève la question de la vertu de la diplomatie parlementaire haïtienne. Elle peut être interprétée comme l’une des premières actions du Parlement consistant à notifier aux Etats-Unis la position politique de l’Etat haïtien dans le procès de Guy Philippe. Avec l’intelligence politique que requiert la diplomatie, elle peut ouvrir la voie à une coopération interparlementaire sur la question. Une commission parlementaire ad hoc peut intervenir pour interpeller les autorités américaines à reconnaitre les prérogatives de Guy Philippe comme Sénateur de la République, parce que le droit international conditionne l’exercice de toute compétence extraterritoriale au respect des immunités dont pourrait jouir l’auteur présumé des faits.   

La diplomatie parlementaire haïtienne est en droit faire valoir les irrégularités de la procédure et de dénoncer les problèmes de l’application de la compétence universelle, de souligner que le principe de non-intervention et l’obligation de respecter la souveraineté des autres Etats limite la compétence personnelle (active et passive).

La résolution du Senat n’est pas juste un vœu, elle relève de la démarche des Parlementaires à se prémunir contre des formes de complot ou de trahison politique et à mettre en valeur des procédures capables de revitaliser le rôle du Parlement appelé par cette urgence politique à se pencher sur des lois organiques fixant les conditions d’application de la notion de compétence personnelle et universelle dans le droit national. Et, le Parlement se doit également d’adopter de nouvelles résolutions pour tracer le périmètre de ce qui peut être accepté et de ce qui relève d’un abus dans les traités avec les Etats-Unis.       

La définition des responsabilités politiques.  

En effet, l’intérêt juridique de la résolution réside et dans la protection des privilèges parlementaires et dans la potentielle mise en œuvre de procédure visant à sanctionner les acteurs responsables dans l’affaire Guy Philippe. Le Sénat dissipe le doute sur le fait que les circonstances entourant l’arrestation et le transfert de Guy Philippe posent une menace aux prérogatives parlementaires. Sa résolution peut être comprise comme la mise en branle d’une procédure visant à identifier les acteurs responsables et à les traduire par devant la Haute Cour de Justice. 
       
En condamnant les faits, le Sénat reconnait l’irrégularité de la procédure d’arrestation et l’implication politique de certaines autorités haïtiennes dans l’affaire Guy Philippe. Au regard du droit parlementaire, le fait pour des autorités politiques (Président, Ministres, Secrétaires d’Etat, etc.) de négocier avec un pays étranger l’arrestation et la déportation d’un sénateur élu, en dehors des procédures régulières, constitue une infraction politique relevant de la compétence de la Haute Cour de Justice.

Face au mutisme de la loi sur la saisine de la Chambre des Députés, rien n’interdit le Sénat d’adresser un rapport à celle-ci pour mettre en œuvre la procédure de mise en accusation. Suivant cette logique, la résolution du Senat peut être lue comme la première étape vers la mise en accusation des acteurs politiques responsables dans l’affaire Guy Philippe.

Dans le cadre d’une autre hypothèse, la Chambre des Députés peut s’autosaisir pour donner suite à la résolution du Senat. Là encore, il n’existe aucune interdiction légalement définie. La Chambre des Députés à la majorité des 2/3 de ses membres peut voter la résolution de la mise en accusation.  

Les acteurs politiques susceptibles d’être inculpés en raison des faits pouvant être qualifiés de complot contre un Sénateur élu seront mis en examen par l’ouverture d’une instruction judiciaire diligentée par une Commission d’instruction constituée des membres de la Haute Cour de Justice qui doivent analyser méticuleusement tous les faits, objets du complot. Dès lors que la Commission d’instruction achève son instruction et produit son rapport sur l’existence de charges suffisantes contre les personnes poursuivies, l’affaire sera déférée par devant la Haute Cour de Justice qui rendra sa décision finale sous forme de décret. Outre les peines de destitution et de déchéance des droits politiques, le décret de la Haute Cour de Justice peut renvoyer les personnes condamnées par devant les tribunaux ordinaires s’il y a lieu d’appliquer d’autres peines et de statuer sur l’action civile.       

L’adoption de cette résolution du Sénat tend vers la protection des prérogatives parlementaires et la définition des responsabilités politiques dans l’affaire Guy Philippe. Les personnalités parlementaires trouvent une occasion de revaloriser leur rôle dans la vie de l’Etat. C’est l’occasion d’initier la diplomatie parlementaire et de sortir de l’atonie législative. Les résolutions sont des instruments parlementaires de grande souplesse pouvant aider à définir les actes de diplomatie et de mission juridictionnelle du Parlement.

Au cours de l’histoire, différentes affaires ont mis à mal l’orgueil de la nation. La réaction citoyenne ou parlementaire doit aller au-delà des protestations et des mouvements d’indignation pour créer les moyens d’aboutir au renforcement des institutions démocratiques afin que l’Haïtien soit désormais en mesure de décider sur lui-même, par lui-même et pour lui-même.  

1 commentaire:

Unknown a dit…

Comme d habitue ca aboutira comme un film de television.....A suivre! Merci de nous informer a propos de la position du Senat Haitien concernant l'affaire Guy Philippe, Ces senateurs la parraissent trembler de peur, et choisissent d adopter avant tout des mesures pour se mieux proteger. L avenir dira le reste...

Avocat et Magistrat de profession.